La résolution sur Jérusalem adoptée sans le Canada
OTTAWA — Le Canada s’est abstenu de voter sur une résolution condamnant la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël — un texte qui a tout de même été adopté avec une imposante majorité aux Nations unies.
La résolution sur laquelle Ottawa a préféré ne pas se prononcer a été adoptée par l’Assemblée générale dans le cadre d’une séance extraordinaire d’urgence, jeudi. Elle stipulait que la décision des États-Unis n’avait pas de force légale et qu’elle devait être révoquée.
Elle a été approuvée par une large majorité: les représentants de 128 États membres l’ont endossée, tandis que neuf ont voté contre (États-Unis, Israël, Guatemala, Honduras, Togo, Micronésie, Nauru, Palaos et îles Marshall). Trente-cinq se sont abstenus et 21 n’ont pas voté.
Avant la mise aux voix de la résolution, l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, s’était présentée devant l’Assemblée générale pour déconseiller aux autres États membres d’infliger ce camouflet à l’administration Trump.
«Les États-Unis se souviendront de cette journée où ils ont été mis à l’index et attaqués à l’Assemblée générale pour le simple fait d’avoir exercé leur droit en tant que nation souveraine», a-t-elle pesté.
«Nous nous en souviendrons lorsqu’on nous demandera, encore une fois, de faire la plus importante contribution mondiale aux Nations unies», a menacé la représentante américaine.
Le Canada, qui convoite un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, a choisi de ne pas prendre position dans l’enceinte onusienne. À l’issue du vote, l’ambassadeur canadien aux Nations unies, Marc-André Blanchard, a pris la parole pour expliquer la décision d’Ottawa.
«Nous sommes déçus que cette résolution soit unilatérale et ne fasse pas avancer la paix à laquelle nous aspirons; c’est pourquoi nous nous sommes abstenus de voter aujourd’hui sur la résolution», a-t-il expliqué.
«La question du statut de Jérusalem ne peut être réglée que dans le cadre d’un règlement global du conflit israélo-palestinien», a indiqué M. Blanchard.
Le gouvernement Trudeau a jusqu’à présent timidement réprouvé la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y déménager éventuellement l’ambassade des États-Unis, qui a actuellement pignon sur rue à Tel-Aviv.
Un peu plus tôt cette semaine, à l’issue d’une rencontre bilatérale avec son homologue américain, Rex Tillerson, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait refusé de dénoncer explicitement la position des États-Unis.
Lorsqu’on lui avait signalé que la position canadienne sur la question était floue, elle n’avait pas voulu la clarifier davantage.
«Le Canada et les États-Unis ont des positions diverses», s’était contentée d’offrir la diplomate en chef du Canada aux côtés du secrétaire d’État américain dans le foyer de la Chambre des communes à Ottawa, mardi.
«Nous avons toujours des discussions candides et directes», avait-elle ajouté.
Le Canada a été «timoré»
Selon la députée néo-démocrate Hélène Laverdière, la décision du Canada de s’abstenir est «peut-être un peu moins pire» que celle d’enregistrer des votes qui placent «souvent» le Canada «tout seul avec les États-Unis, Israël et une couple de petits pays» sur les questions du Proche-Orient.
En revanche, «l’impression que ça va laisser à plusieurs pays est celle que le Canada ne s’est pas levé, que le Canada a été timoré», a-t-elle laissé tomber en entrevue avec La Presse canadienne.
«Et je pense que ça va handicaper la candidature du Canada pour un siège au Conseil de sécurité», a suggéré l’élue montréalaise.
Car si les libéraux continuent la «tradition de vote» des conservateurs sur la question israélo-palestinienne, ils risquent de «continuer à avoir l’air un peu le chien de poche des États-Unis» et de s’aliéner ainsi un bloc de pays, dont les alliés européens, croit Mme Laverdière.
Dans un message publié sur Twitter en début de soirée, le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, a envoyé un tout autre son de cloche en reprochant au Canada d’avoir défié les États-Unis et l’État hébreu aux Nations unies.
«Il est honteux que le gouvernement libéral refuse de soutenir les deux alliés importants que sont Israël et les États-Unis. Le Canada abandonne nos amis internationaux et s’aligne sur des États membres de l’ONU qui dans certains cas sont hostiles au droit d’Israël d’exister», a-t-il déploré.
Au Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), on aurait «préféré» voir le Canada enregistrer un vote contre la résolution.
Cela aurait permis d’envoyer un signal clair qu’Ottawa «rejette les efforts continus visant à se servir des Nations unies comme une plate-forme pour attaquer, délégitimer, dénigrer et isoler Israël», a déclaré par communiqué le président de l’organisation, David Cape.
Si le vote de l’Assemblée générale constitue une «victoire substantielle» pour les Palestiniens, ces derniers «s’attendaient à plus», a suggéré en entrevue Sami Aoun, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.
Le refus de 35 pays de se prononcer, conjugué au fait que 21 autres n’ont pas pris part au scrutin, les a cependant privés d’un gain encore plus substantiel — en plus de prouver à quel point il y avait «un embarras» autour de cette résolution, a noté le politologue.
Un semblant de «dérapage»
Il y a quelques semaines, le Canada a voté avec Israël, les États-Unis, les îles Marshall, Nauru et la Micronésie contre une résolution qui se «préoccupait vivement» des colonies illégales israéliennes à Jérusalem-Est.
Or, cela semble aller à l’encontre de la politique du gouvernement canadien: en février dernier, la ministre Freeland avait pris position — bien que timidement — contre une loi israélienne légalisant les colonies juives en territoires occupés.
Il s’agit là, «selon toute vraisemblance», d’une forme de «dérapage» du Canada, selon ce que constate Sami Aoun.
Mais de façon générale, les libéraux adoptent les mêmes positions sur la question israélo-palestinienne que les conservateurs avant eux sur la scène internationale, fait remarquer le politologue spécialiste du Moyen-Orient et du monde arabo-musulman.