Wokes identitaires
Celle-là valait mille piasses : après des mois à vomir sur le mouvement « woke », cet ennemi aux contours approximatifs, nombre de nos identitaires de droite (pardon du pléonasme) se vautraient à leur tour, manifestement sans flairer l’ironie de la manœuvre, dans les marasmes visqueux de la théorie de l’annulation.
La cause ? Une nouvelle à l’effet que Pierre Trudeau, alors premier ministre, aurait affirmé à l’ambassadeur des États-Unis au Canada avoir fait pression auprès du richissime Desmarais, afin de déménager des emplois québécois vers la voisine ontarienne. L’idée étant ici, sans trop de subtilités, de volontairement nuire au concept même d’indépendance dont le principal vecteur -soit le Parti québécois- occupait alors le siège du pouvoir.
Malgré le ouï-dire spectaculaire de l’affaire, jumelé au fait que diverses recherches sur le transfert d’emplois témoignent d’un non-événement, quelques heures suffirent afin qu’une pétition se mette en marche. L’objet? Exiger de l’actuel gouvernement Trudeau de débaptiser l’aéroport montréalais afin de le renommer….René-Lévesque.
On passera outre l’aspect absolument grotesquement comique de l’affaire – les pétitionnaires feignant ignorer le lien de filiation et, conséquemment, la perte de temps réelle de l’opération- pour se concentrer sur ceci :
-Yo les boys, c’était pas de la grosse merde, la théorie de l’annulation?
-Oui, pourquoi?
-Ben…débaptiser un aéroport pour le renommer au profit d’un pote qui fait notre bonheur, vous appelez ça comment?
-Ah ben non, c’est pas la même chose…
-Pourquoi donc?
-Parce que même si on débaptise l’aéroport, il lui restera d’autres hommages.
-Donc le dégommer d’un hommage n’est pas de l’annulation, tant et aussi longtemps que d’autres hommages subsistent?
-Bah….anyway, Trudeau, c’est un réel enfant de chienne, tout le monde sait ça!
-Pas sûr de ça, que tout le monde est au courant…
-Ben voyons!
-Au scrutin de 1980, donc en fin de règne, il avait obtenu 68,2% des suffrages au Québec, et remporté 74 sièges sur 75.
-On s’en christ de l’appui populaire ! Si on veut débaptiser un aéroport, on a le droit de le faire savoir…
-Oui, clairement. Mais ça reste de la « cancel culture »…
-Pantoute! La « cancel culture », ça vient des wokes, ça. Et les wokes, ils trippent tous sur Trudeau!
-Vous êtes hallucinants, sérieux…
-Pis ici, c’est pas pareil, on parle d’un hommage…
-Genre déboulonner la statue de John A. McDonald ? Parce que ça aussi, vous étiez contre…
-Pas pareil encore : ce sont les wokes de Concordia qui ont fait le coup…
-Et si ça avait été la Société Saint-Jean-Baptiste?
-Pas pareil.
-Quelle différence?
-Le wokisme, c’est un mouvement né aux États-Unis, et qui devrait y rester. Ça rien à voir avec nos problèmes. Les crinqués anti-colonisateurs de Concordia ne connaissent rien à notre histoire.
-Mais si les wokes veulent dénoncer l’hommage à un raciste comme McDonald, quel est le problème?
-Qu’ils le font au nom d’un concept qui n’a pas sa place ici.
-Donc un woke qui souhaite annuler, c’est de la merde, mais un nationaliste qui vise le même procédé, pour les mêmes raisons, c’est un problème.
-T’es tout mêlé…
-Effectivement…
-C’est que Pierre Trudeau, c’est l’apothéose du mépris pour les Québécois, les mangeux de hot-dogs, dégueulasse peuple de maître chanteur, blablabla…
-Ça va, j’ai compris ce bout-là. Donc bref, on l’annule.
-Oui, parce que lui, c’est pas pareil.
-Ok, mettons. Et vous le remplacez par Lévesque.
-Oui! Lui, c’était un vrai. Ils nous a jamais fourrés, lui.
-Mais qu’est-ce qu’on fait avec les révélations de son biographe comme quoi il a déja violenté sa conjointe? Et alcool au volant aidant, sa voiture a écrasé un itinérant, provoquant la mort de ce dernier?
-Ben là, c’est pas pareil…personne n’est parfait!
-Je le sais déjà, t’inquiète. Mais question: qui trace la ligne? Qui détermine des paramètres sur lesquels repose la légitimité d’une annulation ? Toi?
-Pourquoi pas? Faut bien tracer la ligne à quelque part, comme tu dis.
-J’hallucine.