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L’aliénation parentale, l’arme des conjoints violents 

Au cours de la dernière année, les cas de violences conjugales ont été plus «lourds» et plus «complexes».
Au cours de la dernière année, les cas de violences conjugales ont été plus «lourds» et plus «complexes». Photo: Bundit Chailaipanich, 123RF

Il arrive que des mères victimes de violence conjugale perdent la garde de leurs enfants au profit de leur ex-conjoint qui les accuse d’aliénation parentale, une solution facile pour «punir» la mère, ce que dénoncent plusieurs groupes, à commencer par les mères elles-mêmes

L’aliénation parentale survient lorsqu’un parent influence son enfant «afin de favoriser chez lui le rejet injustifié et la désaffection à l’égard de l’autre parent», rappelle l’organisme Carrefour Aliénation Parentale Québec.

«Quand les femmes interviennent pour essayer de protéger leurs enfants de la violence du père, on va souvent conclure à tort qu’elles font de l’aliénation parentale», déclare d’emblée la coresponsable des dossiers politiques au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, Louise Riendeau.

C’est le cas de Sophie* qui n’a pas vu ses fils depuis plus d’un an à la suite d’un jugement de la Chambre de la jeunesse.

Pour elle, il est clair que ses garçons refusent de voir leur père parce qu’ils sont traumatisés par la violence qu’ils ont subie. 

Or, le tribunal et la Directrice de la protection de la jeunesse (DPJ) concluent plutôt que cette résistance est due à l’aliénation des enfants par la mère. «Ils ne tiennent pas compte des intérêts de l’enfant, mais juste de l’intérêt du papa», déplore Sophie. 

Selon la mère de famille, plusieurs femmes victimes de violence conjugale ne peuvent quitter leur foyer violent, de peur de perdre leurs enfants. «L’aliénation parentale, honnêtement, c’est le plus grand subterfuge qui existe. Aussitôt que le père dit ces mots-là, il devient l’ange parfait qui n’a rien à se reprocher. Tout est la faute de la mère», émet-elle.

Un concept très flou

Souvent, on parle d’aliénation parentale lorsqu’un enfant refuse de voir un de ses parents ou lorsqu’un parent s’oppose à ce que l’enfant aille chez l’autre.

Mais si le concept d’aliénation parentale est de plus en plus utilisé par les tribunaux et par la Protection de la jeunesse, on ne le retrouve dans aucune loi ni aucune politique.

Or, il est utilisé «dans une diversité de contextes», indique le professeur à l’école de service social de l’Université Ottawa Simon Lapierre.

Celui qui a mené des recherches au sujet des allégations d’aliénation parentale chez les femmes victimes de violence conjugale va jusqu’à dire que le concept est «un peu utilisé à toutes les sauces depuis quelques années».

Contexte de violence conjugale ignoré

Les allégations d’aliénation parentale mènent à l’invisibilisation du contexte de violence conjugale, soutiennent les intervenants consultés par Métro.

Une étude menée dans les maisons d’hébergement à travers le Québec en 2015 par Simon Lapierre démontre que le nombre de victimes de violence conjugale accusées d’aliénation parentale est «significatif». 

Les accusations pouvaient provenir de l’ex-conjoint ou de l’avocat de l’ex-conjoint, mais aussi des procédures en droit familial et des procédures en protection de la jeunesse, souligne Simon Lapierre. 

«Ce qui arrive généralement c’est que la question de la violence conjugale est complètement ignorée ou évacuée par les personnes qui font l’évaluation, déclare le chercheur. C’est ça qui permet aux allégations ou aux accusations d’aliénation parentale de surgir.»

Selon Louise Riendeau, il y a une évaluation totalement fausse des faits, bien que la littérature et la pratique aient démontré que la violence conjugale a des impacts importants sur les enfants. «Au tribunal de la famille et en protection de la jeunesse, il semble y avoir une méconnaissance ou, en tout cas, une vision assez parcellaire de la situation», émet-elle.  

De son côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux assure que les éléments relatifs à la violence conjugale (pendant la relation et post-rupture) sont considérés dans l’analyse réalisée en protection de la jeunesse. 

Or, la décision prise en protection de la jeunesse porte sur les motifs (comportements, attitude, contexte) présents dans la situation et non sur la problématique du ou des parents, précise-t-on. «À titre d’exemple, la présence de violence conjugale ou familiale (judiciarisée ou non) ou un historique de cette problématique n’implique pas systématiquement que la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis. C’est la présence ou le risque d’abus qui doit être pris en compte», détaille le porte-parole Robert Maranda par courriel.

«C’est sans issue»

Au final, les préoccupations concernant l’aliénation parentale «prévalent» toujours sur le contexte violent, constate Simon Lapierre dans ses projets de recherche. 

«C’est sans issue, dit-il. Plus l’enfant va dire qu’il n’est pas aliéné et que son père est violent, plus on va dire qu’il est vraiment aliéné. Plus la mère va dire que son enfant ne doit pas voir son père parce qu’il est dangereux, plus on va dire qu’elle est vraiment aliénante parce qu’elle nous dit de plus en plus qu’il est dangereux.»

Les femmes font donc face à un dilemme: soit elles continuent de se battre, demandant plus de protection, et risquent d’être accusées d’aliénation parentale, donc de perdre la garde de leurs enfants, soit elles se taisent et acceptent la garde partagée et laissent leurs enfants dans un environnement violent une semaine sur deux. 

«C’est une situation où il n’y a pas de position gagnante ni pour les femmes ni pour les enfants dans ce contexte-là», explique Simon Lapierre.

Pour Sophie, il est hors de question de laisser la garde de ses fils à son ex-conjoint qui aurait déjà essayé de la tuer. «Je ne peux pas accepter quelque chose comme ça, car il était abusif avec mes enfants aussi», raconte-t-elle. 

Toutefois, elle dit se sentir «coincée. Plus on dit d’abus, plus ils disent d’aliénation parentale», déplore-t-elle.

Sophie souhaite que tous les jugements d’aliénation parentale soient annulés et que tous les enfants soient rendus à leur «parent protecteur». «Sinon, ils causent quotidiennement des dommages irréparables aux enfants et ils souffrent et pourraient finir par être tués par l’agresseur», ajoute la mère. 

Recommandations

Il est important de noter que la Protection de la jeunesse est en pleine réforme. La question concernant le contexte familial, notamment l’aliénation parentale, sera analysée. 

Il en sera probablement question dans le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse présidée par Régine Laurent qui devrait être déposé le 30 avril. 

Le tribunal doit tenir compte de la présence de violence conjugale, pensent les intervenants. C’est une des recommandations adressées par le Regroupement au gouvernement du Québec et à la Commission Laurent. 

«Il faut donner un meilleur accès aux femmes aux services, mais il faut aussi faire des changements majeurs dans le traitement judiciaire de la violence conjugale, dans comment la Protection de la jeunesse traite ces dossiers-là», pense Louise Riendeau.

Comme elle, Simon Lapierre souhaite que l’ensemble des intervenants du système de justice et de la Protection de la jeunesse soient mieux outillés pour comprendre les effets de la violence conjugale, ainsi que la différence entre de la violence post séparation et des conflits sévères de séparation.

Pour répondre à ce besoin, une formation s’adressant aux membres du personnel du réseau de la santé et des services sociaux a été créée pour les outiller dans l’identification précoce de la violence en contexte conjugal, ainsi que dans l’intervention auprès des femmes, des hommes et des enfants de même qu’auprès des groupes présentant des réalités ou des vulnérabilités particulières.

*Le nom a été modifié pour protéger l’identité de la victime

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