Les Wokes ont volé mon 7-UP
Dans une récente entrevue au Devoir, Stéphane Baillargeon y va d’une question semi-assassine, semi-balle donnée : «À lire les textes de ton dernier bouquin, plusieurs ne laissent pas trop de doute sur tes positions idéologico-politiques. Serais-tu, toi aussi, un petit lapin woke?».
Boum. Le salaud.
Décontenancé, je balbutie un truc, incertain, du genre : «J’ai critiqué le mouvement woke. Il y a eu des dérapages. Je continue de dénoncer la forme. Reste que sur le fond, je vais toujours me sentir davantage plus près de quelqu’un qui veut lutter contre le racisme que contre celui qui veut lui trouver des excuses».
La jambette sympa de Baillargeon, d’ailleurs l’un des plus crédibles du milieu, me turlupine depuis: le clivage est-il à ce point manichéen? A-t-on procédé à l’institutionnalisation du choix de Sophie (l’expression, pas Durocher) en catimini? Conservatisme sauce Québecor versus Wokisme extrême?
La réponse, quand on y pense, est aussi bête que Maxime Bernier: non. Y a pas à choisir entre l’un et l’autre. Parce qu’il s’agit d’une fausse opposition, d’un sophisme. Alors pourquoi mon hésitation, à l’instar de tant d’autres? Facile: la droite identitaire s’amuse actuellement à un passe-temps intellectuel vieux comme tout, soit l’achèvement, brindille par brindille, de l’homme de paille. Celui qui, une fois parfaitement caricaturé, servira d’épouvantail.
J’exagère? Pas sûr. Parce que quand t’es rendu à t’inventer un ami noir afin de valider ta négation de l’évidence, soit celle du racisme systémique, disons qu’on approche la stratopshère, côté bêtise. Ajoutons à ceci la montée en épingle de 3-4 anecdotes dites woke afin de s’en construire une thèse.
Ainsi, et à entendre nos chevaliers Jedis, la construction de l’étoile de la Mort (des valeurs québécoises), serait sur le point d’être achevée, coin Plateau Mont-Royal et celui du nouveau site de Radio-Canada. Que cette dernière, dirigée par Guy A. Vader et autres racialistes-racistes-radicaux-anti-anti-racistes-mais-racistes-anti-blancs (confusant, à la fin) en viendra imminemment à imposer le côté obscur de la Force, et ce, malgré les efforts épiques assurés par Leia Bombardier, Han Martineau et, bien entendu, le Capitaine Lando Facal (pardon).
L’ironie est, par ailleurs, doublement mordante. Parce que pendant que l’on nous plaide que le wokisme est un concept américain inimportable au pays de Lévesque, on hurle au meurtre à chaque fois qu’un campus universitaire sudiste s’avise à effacer l’histoire, ajoutant alors une nouvelle brindille d’hérésie à l’épouvantail ci-haut décrit. Faudrait se décider, les copains : les US, on peut s’en servir, ou pas? Si oui, serait bien de pouvoir le faire bilatéralement.
-OUI, MAIS LA CANCEL CULTURE!
-Hein?
– Les Wokes veulent canceller tout le monde qui ne pensent pas comme eux!!!
Vous êtes sérieux, là? Ce sont les Wokes qui voulaient faire crisser dehors le prof Attaran? Le recteur Frémont? La commissaire Bochra Manaï? Et combien d’honnêtes citoyens-électeurs ont été bloqués des réseaux sociaux par ces mêmes anti-wokes autoproclamés, dont Chewbacca Blanchet, chef bloquiste souhaitant le congédiement d’analystes politiques pour commentaires jugés offensants? Pas pire woke, ça, me semble.
Responsable des crises d’asthme, du logement et des algues bleues, le wokisme? Du Troisième lien? Des Plaies d’Égypte? Pense pas. Mais ce qui est certain, par contre, est que l’épouvantail est aujourd’hui utilisé à dessein, à titre de bouclier, afin de dévier les vraies questions. Celles qui embarrassent. Du genre : même si le Québec n’est pas aux prises avec un problème de racisme systémique aussi sérieux qu’à Bidenland, ça change quoi, à l’histoire? Le fait d’être moins gros que Youppi! assure-t-il, en soi, l’absence d’un surplus de poids?
Parlant de ça, vous laisse, on vient de me piquer mon 7-UP. Vous laisse deviner qui.