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Les deux visions de la tragédie Joyce Echaquan

Joyce Echaquan
Joyce Echaquan. Photo: Image tirée de Facebook

Deux visions s’affrontent dans les témoignages entendus dans le cadre de l’enquête publique sur la mort de Joyce Echaquan: d’un côté, les Atikamekws qui ont peur de se faire soigner à Joliette par crainte de mauvais traitements; de l’autre, la grande majorité des membres du personnel soignant qui soutient n’avoir jamais été témoin d’incidents racistes. Cela est une énième preuve d’un racisme ancré dans le système de la santé, pense un expert.

Joyce Echaquan se rend aux urgences de l’hôpital de Joliette en ambulance le 26 septembre dernier en raison d’une douleur aiguë à l’estomac, mais n’en ressortira jamais vivante. En quelques heures, son état change du tout au tout et la patiente s’agite à un point tel qu’on la place sous contention chimique et physique.

Une vidéo choc diffusée en direct sur la page Facebook de Mme Echaquan montre deux employés lui proférer des insultes racistes quelques instants avant sa mort, le 28 septembre. La patiente, elle, appelle à l’aide et affirme être surmédicamentée.

Pourtant, à la barre des témoins, infirmières, préposées aux bénéficiaires et gestionnaires ont affirmé avoir été choqués par les propos enregistrés. Jamais ils n’ont entendu de commentaires désobligeants de la part de collègues envers des patients et assurent prodiguer des soins équitables à tous. L’infirmière congédiée s’est excusée, mais ne semble pas voir comment ce qu’elle a dit était teinté de préjugés envers les Autochtones.

Ces témoignages s’opposent à ceux des membres de la famille Echaquan. Mais aussi à ceux de patients présents aux urgences de l’hôpital de Joliette le jour du décès de la femme atikamekw.

Pas seulement des «pommes pourries»

Pour Saleem Razack, médecin aux soins intensifs pédiatriques à l’Hôpital de Montréal pour enfants et professeur à l’Université McGill, il s’agit là d’une autre démonstration du racisme systémique.

«C’est vraiment un système qui donne la permission aux professionnels de se comporter comme ça. C’est une réponse humaine d’avoir de la difficulté à croire que cela arrive, mais c’est une explication trop simple de dire que c’est juste des pommes pourries», souligne-t-il.

Dr Razack estime que c’est une «obligation professionnelle» de confronter les problèmes vécus par les personnes issues des minorités dans le système de santé québécois et d’y trouver des solutions.

Un système imparfait?

Par ailleurs, Saleem Razack remarque que ce qui ressort des témoignages entendus jusqu’à maintenant dans le cadre de l’enquête publique est que le «système est imparfait» et que le 28 septembre «c’était une journée difficile».

En effet, plusieurs membres du personnel de l’hôpital de Joliette ont insisté sur le fait qu’ils étaient débordés, qu’ils manquaient d’effectifs et que cela les forçait à couper sur leurs relations interpersonnelles avec les patients.

La coroner qui préside l’enquête, Géhane Kamel, a même suggéré que Joyce Echaquan avait payé les frais notamment d’une rupture de services. «C’est certain qu’il manquait du personnel, c’est certain que la personne qui s’occupait de Mme Echaquan n’était pas la meilleure personne ou la plus expérimentée donc, oui, c’est une forme de rupture de services», lui a répondu un infirmier.

Ce dernier estime que le transfert de Joyce Echaquan en salle de réanimation a trop tardé. Considérant qu’elle était sous contention chimique et physique, elle aurait dû être surveillée de manière accrue.

Pourquoi avoir laissée la patiente, qui était sous sédation et attachée, seule pendant au moins 40 minutes après la capture de la vidéo? Les témoignages se contredisent à ce sujet.

Alors qu’elle se retrouvait seule, à s’occuper de plusieurs patients instables, la jeune candidate à la profession d’infirmière en charge de Joyce Echaquan dit avoir demandé son transfert à au moins deux reprises à sa supérieure, mais sans succès.

Sa gestionnaire, l’infirmière assistante du supérieur immédiat, soutient qu’une infirmière aurait pu user de son «jugement clinique» et le faire d’elle-même puisqu’elle n’avait pas le «portrait global» de Mme Echaquan.

Pour sa part, l’infirmière-chef au moment des faits, Josée Roch, a reconnu que l’épisode de la vidéo peut avoir entraîné une banalisation de ce que vivait la patiente. Selon elle, il y a eu de la confusion quant aux rôles de chacun à l’hôpital de Joliette et un manque de communication.

Des «perceptions» versus des «preuves»

Les perceptions du personnel médical sont faussées considérant les données existantes sur la qualité des soins de santé offerts aux communautés des Premières Nations, des Inuit et des Métis, pense Dr Razack.

«Tout le monde a sa perspective, mais c’est beaucoup plus que les perspectives et les expériences. On a beaucoup de preuves au Canada et au Québec que [le racisme systémique] change les résultats pour les patients. C’est un impératif professionnel d’améliorer ça», souligne-t-il.

Dr Razack cite également une récente étude publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne qui révèle que les Autochtones ont 30% plus de risque de mourir après une opération chirurgicale et sont plus sujets à souffrir de complications post-chirurgicales que les non-Autochtones au Canada.

Il est donc clair pour le médecin que les membres des communautés autochtones sont les plus crédibles dans cette histoire. «Pour moi, ce qui est très triste, c’est que s’il n’y avait pas de film ou d’enregistrement de ce qui est arrivé, on n’aurait pas cru la famille», ajoute-t-il.

Inclure les Autochtones pour changer les perceptions

Comment donc s’attaquer au problème si le personnel refuse de reconnaître le racisme malgré les preuves et les témoignages?

Selon Saleem Razack, il ne faut pas nécessairement congédier tous les professionnels de l’hôpital de Joliette. Il faudrait plutôt les former et les sensibiliser davantage en leur faisant rencontrer des autochtones, par exemple.

«Écouter les histoires, ça permet de changer la pensée des gens et après ça on peut passer à comment on doit changer nos politiques dans le but d’avoir un système de santé moins raciste, moins colonial», précise-t-il.

À peu près tous les témoins qui se sont présentés à la barre lors des audiences publiques sur le décès de Joyce Echaquan ont réclamé vouloir davantage de formation en sécurisation culturelle.

Toutefois, en avril 2019, seulement 3% des infirmières et infirmiers de l’hôpital de Joliette ont assisté à une formation donnée par un infirmier de Manawan sur la sécurisation culturelle.

Dr Razack pense aussi que le Principe de Joyce, un énoncé rédigé par les leaders atikamekws dans la foulée de la mort de Mme Echaquan, doit être appliqué dans toutes les institutions de santé québécoises.

Ce principe «vise à garantir un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé», peut-on lire dans le document auquel souscrit le Collège des médecins.

De son côté, le gouvernement du Québec refuse toujours de souscrire au principe de Joyce, notamment parce que l’un des fondements du principe est la reconnaissance du racisme systémique.

 

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