Le moratoire sur le gaz de schiste contesté
OTTAWA – Une compagnie incorporée aux États-Unis qui souhaitait exploiter le gaz de schiste logé sous le fleuve Saint-Laurent s’en prend au moratoire québécois sur la question et réclame 250 millions $ au fédéral.
Lone Pine Resources — dont les activités sont concentrées au Canada — profite du fait qu’elle est enregistrée dans l’État du Delaware pour invoquer le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).
Dans une demande d’arbitrage datée du 6 septembre, la compagnie qualifie le moratoire québécois «de révocation arbitraire, capricieuse et illégale» de son droit d’exploiter le pétrole et le gaz du fleuve Saint-Laurent.
Elle soutient avoir dépensé des millions de dollars en temps et ressources au Québec pour obtenir les autorisations et permis dans la province, avant de voir tout cela partir en fumée avec une législation adoptée en juin 2011.
La compagnie ne peut poursuivre directement le Québec, puisque c’est le Canada qui est responsable de la province en droit international. Le chapitre 11 de l’ALÉNA assure aux entreprises étrangères un traitement juste et équitable et offre une protection contre les expropriations.
«Ce que nous demandons est un niveau de dédommagement pour les pertes que nous avons encourues et ce que nous aurions potentiellement reçu si on nous avait permis de développer nos concessions», a expliqué son président, Tim Granger, en entrevue.
La compagnie en a contre la loi 18, adoptée sous les libéraux de Jean Charest, qui visait à «interdire l’activité pétrolière et gazière dans la partie du fleuve Saint-Laurent située en amont de l’île d’Anticosti et sur les îles se trouvant dans cette partie du fleuve».
Depuis, le gouvernement péquiste est allé plus loin en signifiant son intention de déposer un projet de loi officialisant le moratoire, tout en commandant une étude approfondie au Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) sur le sujet. Le BAPE devrait déposer ses conclusions en 2014.
Les gaz de schiste sont puisés dans le sol par fracturation hydraulique, une technique par laquelle des fluides sont injectés à très haute pression dans le roc pour le fissurer et libérer le gaz qu’il retient. Les environnementalistes craignent les dangers de cette technique, particulièrement ses effets sur l’eau potable.
«Des études prouvent qu’il y a des contaminations qui se font dans les nappes phréatiques. Pour nous, c’est extrêmement dangereux de permettre ce procédé-là sans savoir ce qu’on fait», a signalé la présidente de l’organisme d’Eau secours!, Martine Chatelain.
«Le droit de protéger des ressources naturelles et, ultimement, des populations, ça ne devrait pas être en jeu dans un accord commercial», a-t-elle noté.
«Il faut être très prudent, surtout pour le Saint-Laurent, compte tenu de son écosystème, mais aussi de sa valeur économique et touristique», a insisté Floris Ensick, du Sierra Club.
Que fera Ottawa?
Pour l’instant, on ignore quelles actions précises prendra Ottawa pour défendre Québec dans le dossier.
«Le gouvernement du Canada évalue actuellement les renseignements fournis dans la notification d’arbitrage présentée par Lone Pine Resources inc. et consulte présentement le gouvernement du Québec», a indiqué Caitlin Workman, porte-parole pour le ministère des Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada (MAECD).
«Le gouvernement du Canada, comme toujours, compte défendre énergiquement les intérêts des Canadiens.»
Mais les environnementalistes craignent qu’Ottawa choisisse de se tourner les pouces, notamment en raison des frictions politiques entre les deux paliers de gouvernement.
«Le gouvernement fédéral est parti sur une voie de promotion de tout ce qui est combustible fossile, donc je ne m’attends pas à ce qu’il défende bien le moratoire (québécois)», a soutenu Floris Ensick.
Lone Pine Resources fait de l’exploration et de l’exploitation pétrolière et gazière au Québec, en Alberta, en Colombie-Britannique et dans les Territoires du Nord-Ouest. L’entreprise avait annoncé son intention de déposer une requête en arbitrage en novembre de l’an dernier.
La firme a eu d’importantes difficultés financières au cours des derniers mois, traînant d’imposantes dettes. Ses actions ont été retirées de la Bourse de New York et mardi dernier, la Bourse de Toronto a fait savoir qu’elle ferait de même parce que la compagnie ne répondait plus à ses exigences.