Le point sur le point Godwin
On enseigne l’histoire pour toutes sortes de raisons, notamment pour éviter que les atrocités ne se reproduisent. Se référer à l’histoire pour mettre en perspective les choix de société que nous faisons est à la fois sain et souhaitable. Or, ces références historiques sont menacées d’être constamment invalidées si on ne se méfie pas de l’usage abusif qu’il est parfois fait du fameux point Godwin.
Formulée à la suite de l’apparition des forums en ligne, la loi de Godwin estime que, plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité qu’une comparaison impliquant les nazis ou Hitler soit faite augmente. Ainsi, celui qui remporte un point Godwin en ayant recours à une telle comparaison est identifié comme le perdant de la conversation. Cette loi est bien utile pour démontrer qu’un débat sur le port des bas dans les sandales ou sur l’épilation a pris une ampleur exagérée, qu’il s’est enlisé au point de dériver vers des accusations extrémistes.
Malheureusement, je constate depuis quelques années que cette loi est utilisée dans les réseaux sociaux presque systématiquement lorsque quelqu’un fait référence au nazisme ou à Hitler, même lorsque cela est tout à fait justifié, et je m’inquiète que, poussée à l’extrême, cette attitude nous conduise à diaboliser toute référence aux moins beaux pans de notre histoire.
Évidemment, il peut y avoir des recours abusifs à l’histoire. Déclarer qu’une défaite électorale est l’équivalent de la tragédie de Lac-Mégantic pour la ville de l’Assomption en est un au même titre que dire que les anglais vivent sous le régime nazi depuis que la Loi 101 a été adoptée. En plus de n’être pas constructives, ces comparaisons exagérées portent atteinte aux victimes de ces événements historiques, qui voient les violences et la peine qu’ils ont subies être réduites et instrumentalisées. Le contexte, toujours différent, est aussi important.
Lors d’un voyage étudiant en Pologne, mes compagnons et moi nous étions arrêtés devant une statue commémorative de l’Holocauste. Il y était inscrit : «Never forget, never forgive.» Notre bagage catho nous empêchait peut-être de comprendre la deuxième partie de la phrase, bien qu’une survivante de l’Holocauste ait tenté par tous les moyens de nous expliquer pourquoi elle n’avait jamais pardonné. Chose certaine, nous étions unanimement convaincus de l’importance de ne jamais oublier. Les grands drames du siècle précédent nous ont conduits à mettre en place des mécanismes pour éviter qu’ils ne se reproduisent. Il serait dommage de refuser de s’en rappeler parce que ticoune sur MiRC en 1996 a abusé du procédé.
La loi de Godwin sert à montrer qu’une discussion a dérapé. Elle ne devrait jamais nous mener à oublier l’histoire. Je sais que la nuance est un luxe auquel les grandes sociétés ont peu accès. J’espère néanmoins qu’on saura toujours faire la distinction entre les dérives discursives et les pertinentes leçons de notre passé.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.