Soutenez

Développer une «culture miel»

miel pot cuiller Mathieu Dupuis

«Est-ce qu’on peut enfin être fiers de nos miels au Québec?» se questionne avec passion Anne-Virginie Schmidt des Miels d’Anicet, qui aimerait développer une «culture miel» québécoise. «On en fait des super bons!» À l’occasion de la sortie du livre Miel. L’art des abeilles, l’or de la ruche dont elle est l’auteure, Métro s’est entretenu avec la co-propriétaire – avec son conjoint Anicet Desrochers – de l’entreprise connue entre autres pour ses miels certifiés bios. Tour d’horizon apicole en cinq temps.

Une culture à développer
«Il fallait ratisser assez large avec le livre – avec les aspects historiques, des recettes, le métier d’apiculteur, etc. – pour permettre de développer au Québec une “culture miel” que, malheureusement, on n’a pas beaucoup comparativement aux autres pays, parce qu’ici, c’est le sirop d’érable.

Quand je dis la “culture miel”, c’est un peu la “culture abeille”. En Europe, les gens connaissent beaucoup plus de choses sur les abeilles. Même en Amérique du Sud, même en Asie. Quand ton voisin a une ruche, tu ne paniques pas, tu sais qu’elle n’est pas dangereuse. Ici, il y a un petit pas à faire pour être prêt à ça. Un des objectifs du livre, c’est de comprendre qu’elles ne sont pas dangereuses.

De plus, en Amérique du Nord, on a un peu maltraité le miel dans les cinq dernières années. On a tenté de le standardiser en le mélangeant pour avoir une couleur uniforme. On l’a aussi pasteurisé. Sur les tablettes des épiceries, en général, le miel est pasteurisé, parce qu’il ne cristallise plus. Mais quand on le pasteurise, on le transforme comme en sucre blanc.

Pour comprendre le miel, il faut savoir qu’il y a une histoire et un travail titanesque des abeilles derrière. Et la ruche, c’est une société qui vit en parfaite cohésion, qui a des outils de langage incroyables. Il fallait aller un peu plus en profondeur dans les connaissances plutôt que de s’intéresser seulement à la substance qu’on met sur nos papilles.»

Abeille seule Anne-Virginie SchmidtUn champ, des fleurs, du miel?
«Maintenant, le paysage agricole, c’est principalement du canola, du maïs et du soya. Ce sont des plantes qui, malheureusement, n’auront pas beaucoup de nectar ou dont le nectar ne sera pas de grande qualité sur le plan nutritif pour les abeilles. Ou, il n’y aura pas assez de pollen dans l’environnement immédiat. Un désert vert apicole, c’est quand l’environnement de la ruche n’est pas assez diversifié pour qu’elle ait une alimentation complète. C’est une des principales raisons actuellement de le mortalité des abeilles. C’est comme si on nous faisait manger juste trois sortes de légumes à longueur d’année, si on veut.

D’autre part, ça ne fait pas vraiment de miel, une tourbière de canneberge, par exemple. Même dans le bleuet, des fois ils font du miel, des fois ils n’en font pas : ils sont même obligés de nourrir les abeilles pendant qu’ils sont là. Il y a certaines cultures qui font très peu de nectar. L’apiculteur, quand il est là, ce n’est vraiment pas pour le miel, c’est pour polliniser et il est payé cher pour ça.

Maintenant, les apiculteurs gagnent plus en pollinisant qu’en faisant du miel. Pour certains, c’est devenu leur principale source
de revenus.»

 abeille qui vole Mathieu DupuisToujours en déclin?
«Oui, les abeilles continuent de décliner. Elles ne déclinent pas plus, pas moins. Les taux sont quand même stables. Mais tant qu’on ne fera pas des changements dans notre modèle agricole, soit au niveau des choix de l’homologation de certains pesticides, au niveau des cultures, au niveau de la réintégration de la diversité, rien ne changera. Par exemple, en Europe, ils obligent les agriculteurs à faire des bandes florales entre les champs. Ils sont obligés de cultiver des fleurs sauvages sur x mètres, pour les pollinisateurs. On parle des abeilles, mais ça va beaucoup plus loin que ça. Nos pollinisateurs, ce sont les papillons, certaines mouches, etc. Ce n’est pas juste l’abeille. L’abeille, par contre, en raison de sa morphologie, est le meilleur pollinisateur, le plus efficace.»

pots de miel Mathieu DupuisDes miels «typés»
«On peut dire qu’on a des miellées, des “cépages” qui ont des goûts différents. Un miel de sarrasin est très goûteux par rapport à un miel de trèfle, qui est beaucoup plus doux, ou un miel de printemps, un miel de pissenlit, de merisier sauvage, qui présentent davantage des notes de cire d’abeille. Il y a vraiment une panoplie de goûts, et chaque région du Québec, chaque village, peut faire un miel différent. Le miel reflète la nature environnante de la ruche. Mais ce serait difficile d’avoir au Québec des appellations contrôlées comme en Corse, par exemple. Parce qu’il faut un territoire unique, défini par une typicité, avec des éléments clés. Nous, ça serait plus du style des IGP, des Indications géographiques protégées, pour des régions en particulier. On pourrait avoir des miels “typés”.»

Sur l’apiculture urbaine
«À Paris, ils ont beaucoup de ruches à des endroits stratégiques, comme au Palais royal ou au Sénat. Les politiciens se sentent proches de ces ruches-là, ils ont un intérêt. Ils prennent la cause des abeilles un peu plus à cœur. Ça sert vraiment d’outil politique et de communication. Chez Louis Vuitton, ils ont aussi des ruches : c’est même un outil promotionnel dans certains cas. À Montréal, c’est un peu pareil. Mais Montréal a une capacité limitée, et on ne peut pas penser avoir six ou sept ruches dans sa cour.

Je crois beaucoup à l’apiculture urbaine pour sensibiliser, mais il y a des normes minimales de sécurité à respecter. Par contre, pour la survie de l’abeille, sa place, c’est à la campagne. Il faut qu’elle soit bien à la campagne. On ne sauvera pas les populations d’abeilles en les amenant en ville. On a besoin d’elles à la campagne pour polliniser le tiers des aliments qu’on consomme.»

***
En rafale

  • Est-ce que le miel est toujours bon? «Bien conservé, le miel est toujours bon, même cristallisé. Mais il perd de sa valeur nutritionnelle et de son arôme avec le temps.»
  • Quelles variétés de fleurs les abeilles préfèrent-elles? «C’est souvent ce qu’on appelle des mauvaises herbes.»
  • Malgré le déclin des abeilles, est-ce qu’il y a encore des ouvertures pour qui veut devenir apiculteur? «Je pense qu’il y en a. La seule chose, c’est que c’est pas facile comme il y a 50 ans. Ça demande plus de savoir. C’est pas comme avoir des poules.»

Photos par Mathieu Dupuis et Anne-Virginie Schmidt.

Couverture MielMiel. L’art des abeilles, l’or de la ruche, par Miels d’Anicet
Les Éditions de l’Homme
En librairie

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.