Les 7 doigts : Je me souviens
Dans Réversible, la nouvelle création de la troupe montréalaise Les 7 doigts, la metteure en scène Gypsy Snider explore l’importance de savoir d’où on vient.
«Les 7 doigts, on est des bons vivants!» On n’a pas de difficulté à croire Gypsy Snider quand sa voix enthousiaste lance cette déclaration au bout du fil. Elle nous explique alors les raisons pour lesquelles le nouveau spectacle de la célèbre troupe montréalaise ne sera pas déprimant, même s’il sera composé d’histoires pas toujours joyeuses que les acrobates sont allés chercher dans le passé de leurs grands-parents.
Si elle avait envie de regarder vers le passé, c’est que Snider, aujourd’hui maman de deux enfants, «trouve que le temps de notre réalité passe de plus en plus vite, que les choses passent de plus en plus inaperçues, et qu’on est de plus en plus déracinés». «J’ai l’impression que le rapprochement entre les êtres humains se fait mille fois mieux quand on comprend qui on est, d’où on vient et pourquoi on vient de là», suppose-t-elle.
Chacun des artistes devait demander à l’un de ses grands-parents de lui raconter deux événements, l’un personnel et l’autre mondial, ayant changé le cours de sa vie. Parmi ces histoires, il y a celle d’une acrobate qui a appris en trouvant des photos que sa grand-mère faisait du cirque, elle aussi – ce que sa famille ne lui avait jamais dit. On entend aussi parler d’une grand-mère ayant été soumise à des traitements d’électro-chocs après avoir subi une dépression causée par l’omniprésence de la religion, et d’une autre ayant quitté le Japon pour suivre en Suisse l’homme qu’elle aimait et ayant subi un terrible choc culturel.
«Nous, on cherche toujours de la matière dramatique; il faut de la tension, des défis, fait remarquer Gypsy Snider. Si on voit des acrobates faire des culbutes magiques pendant deux heures, et que c’est beau et parfait, ils sont en forme, jolis, on rentre à la maison avec en tête quelque chose de beau, mais sans s’y reconnaître. Or, pour moi, le théâtre, ça devrait ouvrir l’intellect et les émotions.»
C’est pour cela que les «bons vivants» que sont les 7 doigts «creusent plutôt dans le sombre», mais «en y mettant beaucoup de plaisir et de joie». «Pour nous, ne pas ignorer les choses difficiles, c’est les célébrer, parce qu’ensemble, on peut passer à travers. Pour nous, la joie vient aussi d’une certaine souffrance, le bien et le mal vivent parfois très proche – pourquoi l’ignorer?»
«On a fondé Les 7 doigts pour stimuler les muscles émotionnels et intellectuels de l’humanité. Chaque spectacle est comme un miroir devant le public pour refléter notre humanité.»
– Gypsy Snider, co-fondatrice des 7 doigts et metteure en scène de Réversible
À une époque où la plupart des gens se créent une existence parfaite sur Facebook et Instagram, Gypsy Snider dit d’ailleurs s’inquiéter de cette recherche du bonheur à travers la volonté d’être beau, riche et célèbre, une quête impossible, souligne-t-elle : «Personnellement, je n’ai plus envie d’être séduite par le parfait; j’ai envie d’être appuyée dans la réalité.»
De l’autre côté du mur
Depuis Intersection, sa mise en scène précédente qu’on a pu voir à l’été 2014 et qui explorait la scène circulaire de la TOHU, Gypsy Snider est fascinée par la géométrie et l’architecture de la scène circassienne. «J’ai l’impression d’avoir seulement gratté la surface, j’ai déjà d’autres idées!», s’enthousiasme-t-elle.
«Quand j’ai commencé à écrire Réversible, j’ai commencé à établir un concept mobile avec des murs qui bougent, avec chacun une porte et une fenêtre, qui peuvent servir pour faire des acrobaties, décrit-elle. Pour moi, il y avait deux éléments très riches dans tout ça. Les murs nous enferment, nous protègent, nous séparent, créent des barrières dans lesquelles on doit foncer. Alors que les portes et les fenêtres, c’est l’espoir, l’idée de passer à autre chose, de tourner une page.»
Mais si Intersection avait pris un mois à monter («C’était un trip pour Montréal complètement cirque», rappelle Snider), cette fois, le travail de scénographie «a pris un bon 40 % des répétitions» : «Ça bouge presque tout le temps, et c’était très difficile de concevoir les éclairages, parce que ça change constamment de forme.»
Un autre aspect qui a été poussé encore plus loin que d’habitude : la musique, qui est toujours un point fort des spectacles des 7 doigts, a été conçue par le directeur musical Colin Gagné avec Raphaël Cruz, Ines Talbi et Dominiq Hamel. On peut y entendre Guido Del Fabbro, Alexandre Désilets, Frannie Holder, Julie-Blanche et Leif Vollebekk, notamment. «On choisit toujours des musiques dans lesquelles on sent l’âme, mais cette fois, je ne pourrais pas être plus fière, c’est la trame sonore la plus “originale” qu’on ait jamais eue.»
Réversible
À la TOHU du 16 novembre au 30 décembre