Grave: Récit d’un film d’horreur féministe
La réalisatrice Julia Ducournau signe un «film féministe cannibale» avec Grave (Raw). Et elle assure que ce n’est pas une œuvre gore.
L’an dernier à Cannes, ils ont été plusieurs à quitter la salle, la main sur la bouche, pendant la projection de Grave. La réalisatrice et scénariste parisienne Julia Ducournau insiste pourtant pour dire que son film n’est pas que sanglant. Il s’agit aussi d’une étude de personnage. Garance Marillier y incarne une étudiante (végétarienne) qui, durant la période sadique d’initiation, développe un goût non seulement pour la viande, mais aussi pour la chair humaine.
Pour ce premier long métrage, Ducournau a passé trois ans à fignoler le scénario et à creuser les idées transgressives et perturbantes qu’elle y met de l’avant. Entretien.
J’ai été stupéfait de découvrir qu’en Europe aussi vous avez des initiations. Je pensais que c’était une tradition américaine idiote.
Et moi je pensais que c’était une tradition française idiote! (Rires) Quand on y pense, c’est logique que ça existe dans tous les pays du monde. C’est une question de pouvoir que des gens ont sur d’autres, et dont ils abusent pour faire partie de la clique. Nous vivons dans un monde où, apparemment, rentrer dans le moule est très populaire.
La scène dans laquelle vous montrez votre héroïne manger de la chair humaine pour la première fois est étrangement… sensuelle.
En effet, j’ai voulu montrer qu’elle est en train de définir ses standards moraux lorsqu’ils sont confrontés à sa nature. Ou plutôt, au côté sombre de celle-ci. Au
départ, elle traverse une phase de rébellion contre l’establishment. Après un certain temps, les questions se mettent à émerger dans son esprit et elle réussit enfin à percevoir ce qui
est bien, ce qui est mal, dans son monde.
«Trop souvent, au cinéma, la chair des femmes est présentée à travers le prisme de la sexualisation ou de la glamorisation, pour attirer un public masculin. Moi, j’aime filmer les corps de façon à ce qu’ils révèlent de l’humanité. Sans mots, ni explication.» – Julia Ducournau, scénariste et réalisatrice
Sans le faire de façon explicite, vous abordez la question du «body shaming» dans votre film, de ce que cela implique d’avoir un corps différent des «normes».
Il y a des passages subtils dans le film qui abordent la façon dont le corps des femmes est perçu dans nos sociétés et les attentes qui viennent avec cette perception. J’ai voulu aborder ces questions avec un peu d’humour, mais au final, ça reste tragique. Percevoir, scruter et évaluer ainsi le corps des femmes, constamment, ne devrait pas être considéré comme normal.
Parlons du côté gore! Dans beaucoup de films mettant en scène des cannibales, les effets spéciaux semblent faux. Mais ici, tout a l’air organique et naturel.
Je crois que la raison pour laquelle vous faites cette observation, c’est que, dans le fond, il y a très peu de scènes cannibales dans mon film. S’il y en avait eu beaucoup, vous auriez été désensibilisé, vous auriez trouvé ça ringard. Alors qu’ici, vous avez un équilibre. Je n’aime pas la violence gratuite. Je préfère que les spectateurs utilisent leur imagination. Suggérer plutôt que montrer, ça rend les choses beaucoup plus perturbantes…
https://www.youtube.com/watch?v=TElJs93LLs8
Au Centre Phi vendredi à 19h30, en v.o. française, avec sous-titres anglais