Une Montréalaise au service de La servante écarlate
Conceptrice visuelle de la série The Handmaid’s Tale (La servante écarlate), la Montréalaise Elisabeth Williams bâtit, un détail à la fois, l’atmosphère oppressante de Gilead, vision futuriste des États-Unis où les droits des femmes ont été tout simplement abolis.
Déjà récompensé par un Emmy, le travail d’Elisabeth Williams sur le deuxième chapitre de la série pourrait lui valoir un autre trophée au Art Directors Guild Awards, ce samedi, à Los Angeles.
«C’est plus intime que les Emmy. Il n’y a pas de vedettes, juste des créateurs comme moi. On est pas mal plus ordinaires que les vedettes, mais c’est quand même excitant, raconte en riant la native de Notre-Dame-de-Grâce, qui a déjà été nommé dans le passé pour son travail sur la série Fargo.
La deuxième saison de The Handmaid’s Tale, diffusée sur la plateforme Hulu, aura permis de découvrir plusieurs nouveaux décors créés par Elisabeth Williams et son équipe: le Fenway Park, domicile des Red Sox de Boston transformé en lieu d’exécution publique, les Colonies, où les femmes récalcitrantes sont envoyées ramasser des déchets toxiques ou encore Little America, quartier de Toronto accueillant les réfugiés américains fuyant la dictature religieuse.
«Bien que la série soit une dystopie, on tente de créer le monde le plus réel possible. Par l’éclairage, le décor, les costumes, on voit le passage d’un régime dictatorial qui a enlevé tout ce qui peut être sensuel ou artistique.»
Quelles sont les étapes pour créer un nouvel environnement visuel à l’écran?
Ça part évidemment du scénario. Il y a une discussion qui se fait autour du scénario avec la réalisation, la direction photo et la conception visuelle. On est comme une triade. Ensuite, de mon côté, je fais une recherche visuelle, au niveau des couleurs et de la conception. Chaque lieu a son concept établi sur papier. Ensuite, on recherche les lieux de tournage qui y correspondent le mieux et on les adapte. Après, on tourne, on défait tout ça et on recommence. [Rires]
La série fait se côtoyer un passé, avant l’instauration de Gilead, et un présent. Chaque époque a son esthétique bien distincte…
Dans Gilead, tout est plus froid, plus dur, plus organisé, sans fioritures. C’est un univers très puritain. Pour y arriver, on s’est inspiré à la fois d’images du Troisième Reich et de l’époque communiste. On cherche ces décors plus glauques, plus retenus. Et on s’en inspire pour créer notre univers. Par exemple, les Colonies sont inspirées des goulags. Les montagnes de sacs remplis de déchets toxiques rappellent le désastre nucléaire de Fukushima.
«Rien n’est laissé au hasard. Tout ce que le spectateur voit à l’écran est une création du département artistique.» – Elisabeth Williams, conceptrice visuelle de The Handmaid’s Tale, dirige une équipe d’environ 75 personnes qui comprend des dessinateurs, des graphistes, des décorateurs, des peintres, des accessoiristes et même des jardiniers.
The Handmaid’s Tale a une résonance très forte dans la culture populaire et les mouvements féministes. On a notamment vu des «servantes écarlates» défiler lors de plusieurs manifestations pour les droits des femmes. Comment réagissez-vous à cette réutilisation politique?
Je trouve que c’est une grande responsabilité pour l’émission. C’est un symbole très puissant. Je suis fière de travailler sur cette série, parce qu’elle a une portée plus grande que le seul divertissement. Ça ne change rien à mon travail quotidien, mais quand je les vois défiler, je suis contente.
Pourquoi pensez-vous que la série résonne autant dans notre époque?
Visuellement, le costume des Servantes est porteur d’un message fort: la soumission de la femme, mais aussi d’une couche de la société face à une autre. En ce moment, on sent une volonté de résistance face à la droite qui prend de plus en plus de place partout dans le monde. La servante éclarlate représente une résistance silencieuse, mais qui est là. C’est une image forte. Un monde comme celui de Gilead n’est pas si loin de la réalité, il ne faut pas l’oublier. La dictature s’est installée par petits pas, parce que les gens ne disaient rien. On peut faire un parallèle avec Donald Trump. Jusqu’à ce qu’il soit élu, personne n’y a cru. Et maintenant, il est là.
En tant que femme, est-ce que travailler sur cette série a une signification particulière?
En toute franchise, non. Par contre, ce que j’aime de cette série, c’est qu’il y a une volonté particulière d’Elisabeth Moss, qui est non seulement l’actrice principale, mais aussi productrice exécutive, d’engager le plus de femmes possible. Quand j’ai commencé dans le cinéma, j’étais souvent la seule femme autour de la table. Aujourd’hui, c’est moitié-moitié. C’est le fun de voir ça. Moi, j’aime beaucoup engager de jeunes femmes dans mon département. Ce n’est pas une question de rejeter les hommes, mais je crois qu’encore aujourd’hui, les jeunes femmes ont besoin d’une petite poussée.
Futur antérieur
Il ne fait pas bon être femme dans l’univers dystopique inspiré du roman de la Canadienne Margaret Atwood.
Après une baisse brutale de la fécondité causée par la pollution, un groupe de fanatiques a pris le pouvoir à Washington. Dans ce régime ultra-religieux basé sur l’Ancien Testament, les rares femmes fertiles sont enfermées dans le rôle de Servante. Reconnaissables à leurs habits rouge sang et à la coiffe blanche qui cache leur visage, elles ne servent qu’à la reproduction des hauts dirigeants.