Lav Diaz: à la recherche du temps perdu
La rétrospective Lav Diaz bat son plein à Montréal, permettant au public de se familiariser avec une filmographie colossale et radicale qui bouleversera à jamais sa cinéphilie.
S’immerger dans les films du créateur philippin est une véritable aventure. D’une rigueur formelle à toute épreuve (sa photographie en noir et blanc est somptueuse), ses films épiques peuvent se développer sur cinq ou sept heures, son plus long dépassant même 10 heures!
«Pour moi, le cinéma est libre et il doit se débarrasser des diktats de durée imposés par l’industrie, confie Lav Diaz lors de sa première visite en sol montréalais. C’est une forme d’art viscérale où le temps rejoint la vie. Chacun l’expérimentera à sa façon.»
Son œuvre narrative, que n’aurait pas renié Tolstoï ou Dostoïevski, ne manque pas de questionner les fondements passés et présents de son pays, autant sur le plan politique qu’environnemental. Cela lui permet, comme dans son magnifique The Woman Who Left (Lion d’Or en 2016), de redonner une dignité au genre humain.
«J’ai encore foi dans le cinéma, en son pouvoir de transcendance, en sa capacité à changer le monde. Je fais des films pour la culture. Pourquoi devrait-on pratiquer cet art pour des raisons commerciales?» Lav Diaz, cinéaste
«Je sens une responsabilité à raconter les histoires de ma culture et de mon peuple, explique le cinéaste de 60 ans, qui pratique son art depuis plus de deux décennies. La réalité philippine n’est pas différente de celle des autres pays. Il y a les traumas antérieurs, les tourments de la lutte humaine, etc.»
Malgré le brutal régime actuel de Rodrigo Duterte et les fantômes de la dictature sanglante de Ferdinand Marcos dont les effets se font toujours sentir, pas question pour Lav Diaz de détourner sa caméra de l’essentiel. «Un des rôles fondamentaux du cinéma est de témoigner de ce qui se passe maintenant, maintient celui qui a eu une révélation sur ce métier après avoir vu Manila in the Claws of Light, de Lino Brocka. Si on ne le fait pas, on est complice de la folie qui arrive.»
«Chaque fois que je me réveille, je me pose toujours la même question : “Pourquoi est-ce que je fais encore du cinéma?” Puis, je me rappelle que c’est ma responsabilité,mon engagement envers l’humanité.»
L’important est de trouver sa voix, de développer son propre regard et son langage afin de découvrir l’âme unique qui sommeille dans chaque artiste. Pour Lav Diaz, cela signifie notamment filmer encore et encore, lui qui travaille actuellement au montage de plusieurs films différents!
«C’est ma façon de fonctionner, admet-il en riant. Je n’ai jamais attendu d’être financé pour faire du cinéma. Si j’ai une idée, une inspiration, je me lance et je tourne.»
- Le cinéaste philippin assistera aux séances du 28 et 29 juin, alors qu’il sera en conversation le lendemain avec les réalisateurs Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval.