De l’illustration à l’animation
Ils sont tous deux illustrateurs et ont quelques livres à leur actif. Et ils ont tous deux réalisé une première œuvre d’animation. Les nouveaux cinéastes (et amis) Catherine Lepage et Pascal Blanchet présentent le fruit de leur travail en mouvement aux Sommets du cinéma d’animation.
La première a réalisé Le mal du siècle, court film qui aborde avec esprit et humour la pression sociale liée à la performance. Alors qu’une femme se décrit de façon idéale en ne nommant que ses qualités, la trame visuelle évoque le trop-plein qu’elle ressent.
Le deuxième s’est joint au cinéaste Rodolphe Saint-Gelais pour mener à bien Le cortège, court métrage dans lequel une femme décédée s’adresse à son mari endeuillé. L’œuvre montre avec beaucoup de poésie la violence que cause la perte d’un être aimé.
Retour sur ces expériences en compagnie des trois artistes.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de l’illustration à l’animation?
Pascal Blanchet: J’ai toujours vu les livres comme un compromis. En l’occurrence, il manquait la musique et le mouvement. J’aspirais donc à faire de l’animation. Il a fallu que l’ONF vienne à moi, sinon c’est un peu comme essayer de grimper une forteresse. (Rires) En fait, j’ai soumis un projet au concours Cinéaste recherché(e) à l’ONF, puis [la productrice] Julie Roy m’a approché.
Catherine Lepage: J’avais aussi une attirance vers l’animation, mais je voyais ça comme quelque chose de très gros; ça l’est, d’ailleurs. Puis, mon ami Pascal Blanchet a commencé à faire un film à l’ONF. (Rires) Chaque fois qu’on se voyait, je lui posais des questions: «Pis, comment ça va?» J’étais vraiment envieuse. Un jour, il m’a proposé de soumettre un projet.
Vous aviez au départ peu ou pas d’expérience en cinéma. Pascal, est-ce pourquoi vous avez fait appel à Rodolphe?
Pascal Blanchet: Oui. Il fallait qu’un animateur se joigne à moi, sinon il n’y aurait pas eu de film.
Rodolphe Saint-Gelais: L’idée était de prendre les illustrations de Pascal pour en faire un film. Il fallait y mettre du rythme, de la durée, leur donner une certaine vie.
Qu’avez-vous le plus aimé dans ce processus de création?
Pascal Blanchet: Je pense que c’est la richesse narrative que le cinéma apporte. Et puis, dans un livre, il faut tout expliquer sinon on ne comprend pas, tandis que, dans un film, on peut entendre une chose et en voir une autre.
Rodolphe Saint-Gelais: On peut se permettre d’avoir ce double langage au cinéma…
Pascal Blanchet: Double et même triple, parce qu’il y a le son, la narration, la musique, l’image…
Catherine Lepage: J’ai aimé l’expérience, car ça m’a ouverte à de nouvelles possibilités créatives et ça m’a sortie de ma routine.
À l’inverse, quel a été votre plus grand défi?
Rodolphe Saint-Gelais: Dans notre cas, faire un film de 11 minutes nous a pris 4 ans. Il faut avoir une idée avec laquelle on est prêt à vivre toutes ces années sans se lasser.
Catherine Lepage: Quand j’ai commencé la production et que j’ai vu l’année de travail devant moi, j’ai trouvé ça long!
Pascal Blanchet: Tu as eu peu de temps, en plus…
Catherine Lepage: J’ai «clanché». C’est pour ça que je ne dînais pas le midi! (Rires) Ç’a été 10 mois de production; pour moi, c’était long! Je ne pouvais pas me consacrer à autre chose, alors que j’ai l’habitude de travailler à divers projets à la fois.
Qu’est-ce qui vous a inspiré?
Catherine Lepage: Je suis partie de mes livres [12 mois sans intérêt, Fines tranches d’angoisse et Zoothérapie]. Pour un premier film, je pensais que partir d’une matière que je connaissais bien me donnerait plus de facilité. Finalement, ce n’est pas si simple de passer du livre au film, encore moins de trois livres à un film! Je suis passée des images dans lesquelles je voyais une plus-value à l’idée de les faire bouger. Puis, j’ai écrit une trame narrative pour rendre ça cohérent. En faisant mentir un peu les images par rapport aux propos de la narratrice, on a joué avec la coche de plus que le cinéma permet.
Pascal Blanchet: Moi, c’est pas mal toujours la même chose : tous mes projets personnels traitent de la disparition… Je dois avoir un problème avec ça! J’avais déjà l’idée de tous ces décors qui rappellent le cinéma des années 1940-1950, d’une famille qui vit des funérailles… Puis, ça s’est cristallisé autour de l’histoire d’amour.
Dans vos films, on reconnaît votre signature et vos univers visuels. Avez-vous eu à adapter vos méthodes de travail?
Pascal Blanchet: Oui, vu que Rodolphe a travaillé les personnages.
Rodolphe Saint-Gelais: Au début, j’essayais de reproduire le style de Pascal pour animer les personnages, mais rapidement, le naturel est revenu. Le cinéma, c’est une collaboration. Rien ne peut se faire seul. […]
Catherine Lepage: C’est un acte de foi aussi, parce qu’on confie notre style d’illustration à quelqu’un. Ça peut être inquiétant. L’ONF a engagé une animatrice, Agathe Bray-Bourret. Je tiens à la nommer, car elle a fait un travail extraordinaire. Je n’ai pas eu à faire de compromis; elle a saisi mon style. J’ai été chanceuse.
La trame sonore occupe une place importante dans vos œuvres. Vous avez tous fait appel à Philippe Brault, et Pierre Lapointe s’est joint à l’équipe du Cortège. Comment avez-vous abordé cet aspect du travail?
Pascal Blanchet: Pierre a été mon premier collaborateur. Comme je venais tout juste de faire les visuels de son album Paris tristesse, je l’ai approché dès que j’ai su que j’allais de l’avant. C’était aussi une technique pour hameçonner l’ONF, et ç’a marché! (Rires)
Rodolphe Saint-Gelais: Très tôt, il nous a donné des maquettes. Sa musique nous a accompagnés pendant trois ans. On a construit les images en fonction de ça. Le rythme du film n’aurait pas été le même si on n’avait pas eu les mélodies de Pierre dès le début.
Catherine Lepage: Dès le début, je voulais travailler avec un musicien, mais on m’a dit d’attendre à la fin. J’ai donc monté mon film avec de la musique d’archives de l’ONF, et j’ai regretté de ne pas avoir suivi mon instinct. C’est merveilleux ce que Philippe Brault a composé, mais je n’aurais pas fait les choses de la même manière si j’avais eu sa musique en amont.
Diriez-vous que l’animation vous a permis de réaliser des œuvres plus abouties?
Pascal Blanchet: En fait, il y a une efficacité de communication au cinéma, parce qu’on transmet plein de choses en même temps: une ambiance par la musique, une narration par l’écrit…
Catherine Lepage: En une image, on peut exprimer ce qui prendrait trois pages dans un livre.
Pascal Blanchet: Exactement! Sauf que c’est un esti de casse-tête à faire comparé à un livre! (Rires)
La 18e édition des Sommets du cinéma d’animation se déroule jusqu’à dimanche.
- Au menu du festival: 165 courts métrages, 9 longs métrages, 2 leçons de cinéma, ainsi que divers ateliers et tables rondes.
- Le mal du siècle sera présenté en première mondiale ce jeudi à 19 h, à la Cinémathèque. La première montréalaise du film Le cortège aura lieu le lendemain au même endroit et à la même heure.