La douce année d’Alexandra Stréliski
Quarante mille albums vendus, trois Félix et une tournée qui fait salle comble partout où elle passe: l’année 2019 de la pianiste Alexandra Stréliski est faite de jalons importants, qui témoignent de la place qu’elle a su se tailler dans le cœur du public. Retour sur l’année pleine d’émotions de celle qui fait la promotion de la douceur sous toutes ses formes.
27 octobre 2019. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Gala de l’ADISQ. Encore sonnée après avoir remporté son deuxième Félix de la soirée, Alexandra Stréliski se ressaisit et livre un discours inspiré. «Je suis partie de loin pour me rendre là. Je suis partie d’une période très sombre. Je veux dire aux gens qui vivent des moments difficiles que le brouillard peut se dissiper, et de ne pas hésiter à demander de l’aide, de garder espoir. Parce qu’on peut avoir de belles surprises sur ce qui nous attend après.»
Ces quelques mots résument à merveille le récent parcours de la pianiste. Un brouillard, ou plutôt une crise existentielle, faite de doutes et de douleurs. Un espoir, celui de vivre de sa musique. Et plusieurs très belles surprises qui ont convergé lors des 12 derniers mois: un disque d’or pour Inscape, l’album né de sa traversée du désert, quelques trophées (Album instrumental de l’année, Révélation de l’année et Auteure-compositrice de l’année) et des spectacles partout sur la planète, de Reykjavik à Brossard.
Comme quoi, comme elle l’a si bien dit, toujours à l’ADISQ, «il ne faut jamais sous-estimer la force de la douceur». Métro est revenu sur cet annus mirabilis avec la pianiste de 34 ans.
Quel regard jetez-vous sur 2019?
2019, c’est un peu l’aboutissement d’un cheminement qui m’a amenée à me consacrer à ma musique à temps plein. C’est une grosse année symbolique, imposante, explosive. C’est allé très vite comme ascension. J’ai l’impression d’avoir été adoptée par l’industrie musicale et le public québécois, je ne sais pas ce qui est arrivé! J’ai vraiment lutté longtemps avant de faire de la musique à temps plein. Parce que ça me faisait peur, en fait. 2019, ç’a été une année tellement belle, qui me dit que j’ai fait les bons choix dans la vie.
Le plus étonnant, c’est que vous n’aviez pratiquement pas fait de concerts avant cette année…
J’ai commencé à faire des shows avec mon projet solo il y a un an et demi seulement. C’est vraiment peu. Je commence seulement à faire trois shows par semaine au Québec. Avant, j’étais un bébé. J’avais joué au FME, à Paris et après: boom! j’étais au Théâtre Outremont devant 900 personnes, puis au Théâtre Maisonneuve. J’ai été rapidement dans de grandes salles, ç’a demandé une adaptation rapide.
Ç’a été un apprentissage pour vous?
C’est sûr. Mais en même temps, j’ai été surprise de voir que ça marchait. Je me trouve plus à l’aise sur une scène que je le pensais. En fait, j’avais tellement peur de monter sur une scène… Maintenant, j’ai vraiment beaucoup de fun en concert. Ç’a été une surprise pour moi. Au début, c’est un peu comme si tout le monde me disait: «Ben oui, on le sait tous que t’es capable de sauter en parachute!» Moi je leur répondais: «Êtes-vous malade?» Finalement, on m’a poussée en bas de l’avion et j’ai découvert que j’étais capable.
Vous êtes devenue en 2019 une personnalité publique. On vous voit dans les médias et on vous reconnaît dans la rue. Comment vivez-vous avec ça?
Ça demande une adaptation également. Au début, je trouvais ça difficile, j’avais l’impression qu’on m’avait volé ma liberté. Mais maintenant, ça va. C’est comme habiter dans un village où la madame de l’épicerie te reconnait et te demande comment ça va. C’est comme ça, mais dans le Québec au complet. Les gens sont respectueux et ne m’accaparent pas. Mon expérience, c’est plus des gens qui m’écrivent des témoignages touchants. Inscape les accompagne dans des épreuves de la vie. Ça aussi, c’est un apprentissage à faire que de recevoir tout ça.
Justement, en cueillant un prix à l’ADISQ, vous avez rendu hommage à ces gens qui vous écrivent et partagent leurs histoires. Pourquoi?
Inscape, c’est un album que j’ai fait dans une bulle d’intimité, mais que j’ai partagé ensuite. Et qui parfois est devenu la bande sonore de la vie de la personne qui écoute. À part ce moment-là, ça ne m’appartient plus du tout. C’est la vie de la personne, son imaginaire, son cœur, les épreuves qu’elle traverse. Si Inscape est rendu là, c’était aussi parce que le cœur des gens a vibré. C’est beau parce que c’est de la musique abstraite. Le thème est dans le cœur ou la tête de la personne qui l’écoute. Je me rends compte que dans nos cœurs, on est semblables en tant qu’humains. Et j’avais envie de rendre hommage à cela parce c’est pour ça que je suis rendue là, parce que les gens ont résonné fort.
Est-ce paradoxal d’avoir du succès avec Inscape, qui est né de moments plus sombres de votre vie. Comment conjuguer les deux?
Inscape, ce sont des moments sombres, c’est vrai, mais c’est surtout une période de transition. Un moment dans une vie où on passe du point A au point B. Oui, ça vient avec énormément de peine, de la noirceur par moments, du brouillard, mais c’est aussi du renouveau. C’est aussi une naissance. Je constate surtout qu’il y a plein d’humains qui vivent ça et qui se reconnaissent dans cette espèce de période de transition. Parce que la vie est faite de périodes de transition. L’expérience humaine est loin d’être statique. C’est toujours du mouvement et, des fois, c’est inconfortable. J’ai l’impression que les gens se sont reconnus là-dedans.
«Ce qui m’amène le plus de bonheur, c’est de faire ce métier. J’ai vraiment de la chance de pouvoir vivre de ma musique.» Alexandra Stréliski
Est-ce que ces moments plus difficiles occupent toujours une place dans votre vie?
Évidemment. Parce qu’ils sont liés à des événements de ma vie: une séparation, un burn-out, un changement de job, un déménagement… Ce sont de grosses épreuves pour tout le monde. Jamais on n’oublie ces moments-là dans une vie. Ça forme qui je suis aujourd’hui. En même temps, j’ai réussi à affronter et à faire face. Je n’étais plus bien dans ma vie et quand tu n’es plus bien, il faut que tu fasses des changements. Parfois des changements radicaux. Ça, c’est tough. Mais je n’ai jamais été aussi heureuse de toute ma vie.
Vous passez beaucoup par les émotions pour créer. Comment les émotions vécues en 2019 pourraient se transposer en musique?
2019, ce serait des ostinato rapides qui s’imbriquent et des **** de grosses lignes épiques. Des cordes, de grands thèmes victorieux! Puis, des espèces de moments sombres où il n’y a rien, parce qu’après les moments épiques, tu vis généralement un crash. [Rires] Ça irait vite. Mais somme toute, ce serait large et tourné vers l’extérieur.