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«Les Rose»: portrait d’une famille révoltée

Les Rose
Paul et Jacques Rose portant le cercueil de leur mère, dans une scène tirée du documentaire Les Rose. Photo: Office national du film

Fils et neveu de membres du FLQ impliqués dans la mort du ministre Pierre Laporte lors de la crise d’Octobre 1970, le cinéaste Félix Rose a choisi de poser sa caméra là où se croisent l’histoire de sa famille et celle du Québec. Son documentaire Les Rose raconte de l’intérieur ce moment charnière de l’histoire québécoise.

Félix Rose avait six ans lorsqu’il a appris que son père Paul était impliqué dans l’enlèvement et la mort d’un homme.

Comme sa mère Andrée Bergeron le raconte au début du film, sa réaction fut si forte qu’il se jeta par terre et roula au sol en niant l’évidence : «Mon père ne pourrait pas faire de mal à une mouche! »

C’est pour comprendre l’inexplicable qu’est né le projet des Rose.

«Mon père Paul était un homme très doux, qui n’élevait jamais la voix, qui était très tendre et affectueux avec les enfants, raconte Félix Rose. Ce que je connaissais de lui ne correspondait pas à son image publique. Certains disaient que c’était un terroriste, d’autres un héros. J’ai essayé de comprendre ce qui a amené quelqu’un comme mon père à aller aussi loin.»

Encore fallait-il avoir la maturité et l’expérience pour raconter parallèlement l’histoire de sa famille et celle du Front de libération du Québec (FLQ).

«Déjà à 17 ans j’étais conscient que je venais d’une famille particulière, dit Félix Rose, aujourd’hui âgé de 33 ans. Je voulais la raconter. Mais à 17 ans, t’es un kid, c’est trop gros comme histoire.»

Une promesse à son père

C’est finalement lors d’un voyage en Irlande, lorsqu’il a constaté que l’état de santé de son père déclinait, qu’il a décidé de passer à l’action.

«J’ai réalisé que mon père n’était pas immortel, tout comme mon oncle et mes tantes. La génération qui a connu le FLQ était en train de mourir tranquillement. Je ne pouvais pas attendre à 40 ans pour faire le film. Je me sentais comme la seule personne qui pouvait aller chercher cette parole inédite.»

Pendant huit ans, Félix Rose a donc écumé fonds d’archives et greniers, en plus d’interviewer de nombreux acteurs de l’époque.

«Toute ma vie, j’essayé de comprendre la famille Rose. En essayant de la comprendre, j’ai aussi appris l’histoire du Québec.» – Félix Rose, documentariste

Son père est toutefois décédé en 2013, avant que le documentaire prenne forme.

«J’étais désemparé, mais je lui avais promis que j’irais au bout de la démarche. Je n’étais pas prêt, mais je l’ai fait parce que c’est là qu’il fallait que ça se fasse.»

C’est finalement son oncle Jacques, qui faisait aussi partie de la cellule du FLQ qui a enlevé et séquestré Pierre Laporte, qui raconte de l’intérieur ces journées fatidiques d’octobre 1970, point culminant d’une décennie d’agitation politique autour de l’indépendance du Québec et des injustices sociales.

Pour comprendre

Les Rose s’ouvre sur des images des funérailles de Paul Rose sur lesquelles sont superposés les propos peu élogieux d’animateur de Radio X qui s’insurgent contre «la réhabilitation d’un criminel, d’un tueur, d’un terroriste».

Son étiquette de criminel, Paul Rose l’a portée bien après sa sortie de prison en 1982 et son retour à la vie militante au sein de la CSN.

La mort d’un homme politique aux mains de ravisseurs armés a longuement entaché les milieux socialistes et indépendantistes dont le FLQ se réclamait.

«J’étais très conscient de la pression et du côté sensible du sujet, dit son fils. On parle quand même de la mort d’un homme et je ne veux pas banaliser ça. C’est très grave. Je n’ai jamais voulu excuser le geste. Ma démarche, c’est de comprendre.»

L’apport d’une mère

Pour y arriver, Félix Rose a remonté aux origines du militantisme de son père et son oncle. Il y a découvert le rôle essentiel joué par sa grand-mère, la bien nommée Rose Rose, née Rose Doré.

«Quand on découvre cette femme, on comprend beaucoup mieux mon père et mon oncle. Je lui ai donné une place importante parce que toutes les valeurs d’entraide et de solidarité que défendaient Paul et Jacques venaient d’elle».

Née dans la petite communauté de Ferme-Neuve, dans les Laurentides, elle a découvert la misère en s’installant à Saint-Henri.

«En campagne, c’était très pauvre, mais il existait un esprit communautaire qui faisait que les voisins s’entraidaient. Lorsqu’elle est arrivée à Montréal, elle s’est retrouvée dans un univers où c’était chacun pour soi. Elle en a fait une dépression. Elle voyait les gens crever de faim et elle était impuissante», relate son petit-fils, qui a connu son ainée uniquement au travers des archives familiales.

C’est pour que ses enfants échappent à la pauvreté de classe ouvrière canadienne-française de l’époque qu’elle est entrée sur le marché du travail et qu’elle les a poussés à étudier.

Plus tard, lorsque ses fils étaient en prison, elle a pris publiquement leur défense, en plus de militer pour l’amélioration des conditions de détention des prisonniers.

«Elle était tellement investie là-dedans. Ce n’était plus seulement à propos de ses fils, c’est devenu la maman du monde carcéral», explique Félix Rose.

Pour ne pas oublier

Cinquante après la crise d’Octobre, la pensée et les actions du FLQ peuvent paraître anachroniques.

L’infériorité économique des Québécois est chose du passé, la violence politique est largement discréditée en Occident et le mouvement souverainiste, moribond, n’est plus lié au socialisme et à la pensée anticoloniale.

«Pour mon père, l’indépendance du Québec, c’était la façon de régler toutes les injustices sociales que lui et ses parents avaient vécus» – Félix Rose

Cette époque bouillonnante de l’histoire québécoise ne doit pas être remisée pour autant, croit Félix Rose.

«Le FLQ, ce sont gens qu’on a refusé d’écouter et qu’on a empêchés de s’exprimer, soutient-il en évoquant la forte répression des manifestations politiques à la fin des années 1960. Il faut comprendre ça si on ne veut pas que ça se reproduise encore et encore.»

«On l’a vécu dans une certaine mesure lors du printemps étudiant 2012 avec la loi 78. Quand un gouvernement refuse de communiquer, d’entendre la jeunesse et passe des lois pour empêcher les gens de manifester, c’est là que les gens choisissent des moyens violents pour se faire entendre.»

Les Rose

À l’affiche au Cinéma Beaubien et au Cinéma du Musée

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