«King Dave»: Le même Dave… ou presque
On pense déjà connaître Dave, ce Montréalais qui s’enlise dans la criminalité sous le coup d’une peur qui lui fait prendre une série de mauvaises décisions. Sous les traits d’Alexandre Goyette, il nous a d’abord raconté sa descente aux enfers au théâtre dans King Dave, en 2005, puis au cinéma, dans l’adaptation de Podz sortie en 2016. Mais le Dave qui s’apprête à monter sur les planches de Duceppe incarné par l’acteur d’origine haïtienne Anglesh Major proposera un regard inédit sur ses mésaventures.
«Il ne faut pas arriver en pensant déjà savoir qui est Dave, soit parce qu’on a vu la première mouture, soit parce qu’on le regarde et qu’on le profile déjà. Il faut partir complètement ouvert», conseille Jenny Salgado, alias J-Kyll, qui signe la trame sonore de cette adaptation très attendue de King Dave mise en scène par Christian Fortin.
Ici, Dave est Afro-Québécois. Il a grandi à Montréal, dans le quartier Saint-Michel. Lorsqu’il raconte en tout début de pièce comment il s’est retrouvé dans la soirée où a commencé sa dérape monumentale, il ne dit pas qu’il y a été invité par «le chum d’un de mes chums», mais plutôt par «le patnais d’un de mes patnais».
Anglesh Major a été repéré par Alexandre Goyette, créateur de King Dave, l’an dernier dans la pièce Les amoureux présentée au Théâtre Denise-Pelletier. «Il était venu me voir dans la loge en me disant: “Eille toi, tu vas travailler un jour, c’est sûr!”» raconte le jeune acteur.
Ce jour est arrivé au début du confinement, quand Alexandre Goyette a voulu revisiter sa populaire œuvre avec un acteur afrodescendant.
Cela en soi est historique: Anglesh Major sera le premier acteur noir à porter un solo sur la scène d’un grand théâtre montréalais. «C’est énorme, dit J-Kyll en pesant ses mots. C’est quelque chose qu’on doit honorer et qui doit être fait comme il se doit. Il y a des erreurs à ne pas faire.»
Voilà qui ajoute au stress déjà présent sur les épaules de l’acteur par le simple fait de reprendre sur scène un des plus grands succès du théâtre des dernières années. D’autant plus qu’il s’agit du premier solo du comédien de 28 ans. «Je ne m’attendais pas à faire ça, pas à cet âge en tout cas», dit-il.
Des blessures profondes
Si le mouvement Black Lives Matter et la prise de conscience du manque de diversité dans le milieu culturel québécois ont incité Alexandre Goyette a vouloir transposer son récit dans un autre milieu, le racisme n’est pas le sujet principal de King Dave.
«Oui, l’idée a germé dans ce contexte. Et le confinement a amené quelque chose de quand même assez beau, parce que toute l’humanité a été obligée d’être en pause ensemble pour la première fois. Je pense que nos pouls battaient au même rythme, pour une fois», avance Anglesh Major, faisant référence à la mobilisation internationale qui a suivi le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd par un policier.
«Mais au final, le racisme n’est pas le moteur du personnage et ça ne le sera jamais. Il vit du racisme, mais c’est une blessure parmi tant d’autres. Sa vraie blessure, c’est la peur. Cette peur qui est tout le temps en lui, qu’il n’arrive pas à calmer», poursuit-il.
«À un moment, tu oublies que c’est un Noir qui tient le premier rôle, car les masques tombent. À la fin, la personne que tu as devant toi, c’est un humain qui a peur.» -Anglesh Major
Cette peur qui le pousse à se mettre continuellement les pieds dans les plats, à ne jamais réfléchir avant d’agir et, par conséquent, à s’enliser dans ses problèmes.
«C’est très fidèle à l’original. C’est le même texte, c’est la même histoire, c’est le même Dave. Il est toujours en action, en mode “let’s go, on y va, on y va, on y va”. Ce qui fait que tu le regardes et que tu as envie de lui dire: “Maaan, reste chez vous!”» lance son interprète en riant.
Le même Dave, mais avec un autre bagage culturel. D’où la nécessité d’adapter le texte original, question de réalisme. Alexandre Goyette et Anglesh Major ont fait ce travail de réécriture à quatre mains.
«J’ai beau être au Québec depuis… hum… 26 ans? Bref, ça fait super longtemps, mais c’était tellement québécois que même dans ma bouche, ça ne fonctionnait pas», dit-il, déplorant que cette adaptation de la langue n’a pas été faite pour la pièce Héritage présentée sur la même scène l’an dernier. «On ne se voyait pas en tant que communauté.»
Une autre langue québécoise
Selon Jenny Salgado, qui a puisé dans son bagage rap et dans les sonorités ancestrales haïtiennes et africaines pour tisser la trame sonore de la pièce, la langue qu’on entendra sur scène, hybride de français, de créole et d’anglais, est un jargon québécois parmi d’autres.
«Au sein même de Montréal, il y a des langages québécois, soutient-elle. Celui qui était employé par Alexandre sonnait faux dans la bouche d’Anglesh. Vous avez fait un travail pour que ça sonne vrai.»
Une autre différence importante dans cette adaptation est la relation qu’entretient le protagoniste avec sa mère. Le Dave d’origine haïtienne ne se permet pas de parler à celle-ci sur le même ton que le Dave blanc.
«J’ai dû expliquer à Alex: “Si je dis la même première réplique que toi à ma mère, la pièce finit tout de suite!” raconte-t-il en éclatant de rire. Dave n’aura pas le temps de commettre l’irréparable, sa mère le fera!»
Dans la culture haïtienne, la mère est une figure puissante. «C’est notre spiritualité, c’est notre conscience, c’est notre histoire», soutient sa collègue qui s’est fait connaître avec le groupe Muzion il y a une vingtaine d’années.
L’acteur souligne aussi que contrairement au Dave original, le sien n’a pas d’emblée l’air d’un poseur. «Quand tu le vois de loin, tu te dis: “Ok il est cool”. Mais quand tu t’approches, tu te dis: “Eh boy! Finalement, peut-être que je ne vais pas chiller avec ce gars trop longtemps!”»
«Mais quand tu t’approches plus près, tu as le goût de le prendre dans tes bras», nuance avec raison Jenny Salgado.
En effet, les blessures d’enfance de Dave permettent de comprendre en partie son comportement erratique. Voilà la beauté de cette adaptation, selon les deux artistes: l’histoire de Dave transcende la couleur de sa peau.
«La pièce amène à puiser en dedans de soi, parce que c’est un texte tellement intime», souligne Anglesh Major.
Ce à quoi renchérit sa collègue: «Au départ, l’idée venait d’une volonté de faire partie du changement, mais plus on fait et on construit cette pièce, plus on se rend compte que c’est bien plus grand que nous et bien plus grand que cette question [de la diversité]. Ça nous ramène à quelque chose d’universel. C’est beaucoup plus humain qu’une race ou une réalité de quartier.»
King Dave
Dès le 29 septembre chez Duceppe