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«La fille d’elle-même»: la renaissance d’une femme trans

Gabrielle Boulianne-Tremblay Photo: Josie Desmarais/Métro

«Quand je me suis donné une seconde naissance, c’est moi qui me suis créée, qui me suis définie», affirme Gabrielle Boulianne-Tremblay. Dans La fille d’elle-même, chavirant et lumineux roman d’autofiction, l’autrice nous plonge dans la peau d’une femme qui découvre sa transidentité.

Dans les années 1990, dans un village au bord de la 138, une jeune fille ne se reconnait pas dans l’image de garçon que lui renvoie le miroir. Elle est inséparable de sa poupée, Pénélope, et à Mario Kart, elle choisit toujours la princesse Peach.

Cette enfance vécue dans la différence se déroule au sein d’une famille dysfonctionnelle chez qui la religion catholique exerce une forte influence. Solitaire et renfermée, la protagoniste trouve refuge dans les bois et dans les livres.

Au fil du récit, cette enfant qui «ne sait pas sourire» grandit, passe de l’école primaire au secondaire, se lie d’amitié et d’affection avec des garçons, puis finit par quitter son village pour s’installer en ville. Pendant tout ce temps, son mal de vivre grandit avec elle, la rongeant de l’intérieur.

Un jour, après avoir frôlé la mort, elle a une révélation : elle est une femme. Le parcours qui l’attend pour donner naissance à qui elle est réellement ne sera pas sans embûche, mais la lumière l’attend au bout du tunnel.

Ce récit d’autofiction est inspiré du vécu de Gabrielle Boulianne-Tremblay, comédienne et autrice révélée en 2017 dans le film Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, pour lequel elle a été nommée aux prix Écrans canadiens.

Son récit empreint de poésie et écrit au je permet de se glisser dans la peau de son personnage et de ressentir tout le mal-être qui l’habite. Ce faisant, il génère une profonde empathie.

«Considérant que la majorité des gens n’ont pas une personne trans dans leur entourage immédiat, c’était une façon d’emmener les lecteurs en immersion dans ce personnage. On la suit, on la voit grandir et on la voit évoluer à travers ses épreuves, ses prises de conscience et ses sacrifices», détaille l’autrice en entrevue.

«Tout au long du roman, on suit une fille qui, avant d’être trans, a des sentiments, est une personne, un être humain, et a le même but que tout le monde : être heureuse.»
-Gabrielle Boulianne-Tremblay

Contrairement à la plus jeune génération, son alter ego dans le roman n’a pas eu les ressources pour mettre des mots sur sa réalité. «Si elle avait eu les outils, ça aurait simplifié beaucoup de choses. Mais elle s’adresse au je féminin dès le départ, car c’est son entourage qui la ramène toujours à son rôle de garçon», soutient celle qui a publié le recueil de poésie Les secrets de l’origami en 2018.

Avant même de comprendre ce qu’elle vit, la protagoniste perçoit des signes de sa différence. Comme lorsqu’un été au camp de vacances, son moniteur lui explique que les pissenlits ont deux vies. «C’est beau de les voir aller dans leur deuxième vie. On dirait qu’ils sont mieux ainsi, légers, sans soucis, libérés de la gravité», écrit-elle.

Difficile de ne pas établir un parallèle avec la renaissance que vivent les personnes trans lorsqu’elles font leur transition. «C’est comme si elle avait eu son premier contact avec sa réalité, mais sans le savoir. C’est une image très forte, parce que les personnes trans, on est vraiment appelé à vivre une seconde vie, quand on choisit la vie bien sûr», commente Gabrielle Boulianne-Tremblay.

D’où le titre La fille d’elle-même. «Je suis enceinte de moi-même», dit par ailleurs son personnage lorsqu’elle entame sa transition.

Une première

Avec cette autofiction, Gabrielle Boulianne-Tremblay signe le premier roman québécois sur la transidentité. «Moi-même, j’en ai été étonnée», dit-elle, tout en prenant soin de saluer le travail de ses collègues littéraires de la communauté trans, dont Sophie Labelle, Roxane Nadeau et Chris Bergeron.

«Je n’ai pas eu de modèle vers qui me référer pour savoir comment raconter une histoire qui parle d’un personnage trans, ajoute-t-elle. C’est pourquoi je suis allée dans l’autofiction, ça m’a permis de partager mon expérience de vie à travers un personnage.»

Si elle peut être la première personne trans à publier un tel récit, c’est grâce aux «gens de la communauté qui se sont levés et qui se sont battus pour nos droits au détriment de beaucoup de liberté», mentionne-t-elle, citant une de ses idoles, la militante Marie-Marcelle Godbout, aujourd’hui décédée.

D’ailleurs, bien qu’elle raconte un récit personnel, Gabrielle Boulianne-Tremblay rappelle dans certains passages de son livre – dont un manifeste en ouverture et un chapitre vers la fin du récit – les violences et les injustices que subissent trop souvent les personnes trans.

«Mon roman, je le considère comme un drapeau blanc qui veut dire : cessez de nous tuer, dit-elle à cet égard. Je tenais à dénoncer la violence que subissent les trans, particulièrement les personnes trans racisées. Je voulais montrer l’humanité derrière cette discrimination.»

Le fait que ces allusions soient insérées dans le récit crée un parallèle entre ce que vit la protagoniste et la réalité de ses frères et sœurs trans en dehors de la fiction. «Même si le personnage aspire à être heureux, il y a toujours cette réalité aberrante en filigrane dans sa pensée qui l’empêche de vivre pleinement son épanouissement. Je voulais qu’on vive cet essoufflement avec elle», explique l’autrice.

De la violence, son alter ego en subit également dans La fille d’elle-même. Deux passages en particulier, qui relatent respectivement une agression et une tentative de suicide, sont particulièrement durs à lire. Et durs à écrire, devine-t-on.

«Je suis allée dans la réalité comme elle est : dure. Les choses sont ce qu’elles sont. Mais je voulais une part de lumière. Lorsqu’elle se fait agresser, elle pense à ses parents et songe : “Je voudrais leur dire que l’amour existe”. Elle prend conscience que s’il y a de la violence, c’est qu’il y a de l’ignorance et un manque d’amour.»

Son livre se termine justement avec une scène lumineuse et porteuse d’espoir. «La fin d’un roman laisse une impression chez les lecteurs et je ne voulais pas que cette impression soit de l’amertume, affirme Gabrielle Boulianne-Tremblay. Il n’y a rien de facile dans la vie, mais si on s’accroche, qu’on se bat pour accéder à nos rêves et qu’on suit son instinct, c’est sûr qu’on va arriver quelque part de plus lumineux.»


La fille d’elle-même

Aux éditions Marchand de feuilles

En librairie le 25 février

 

 

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