Attraper le temps avec Salomé Leclerc
Salomé Leclerc revient avec Mille ouvrages mon cœur, un quatrième album délicat imprégné par ces instants qui défilent. Coréalisé par Louis-Jean Cormier, celui-ci sera disponible le vendredi 8 octobre.
Quelle est la genèse de Mille ouvrages mon cœur?
En mars 2020, la pandémie arrive. J’ai profité de ce temps-là pour écrire sans pression et en secret. Il n’y avait ni attentes ni deadline. Pour la première fois, j’avais un horaire vide. Ça a été très inspirant. Comme j’étais toute seule chez moi, avec des murs en carton et sans accès à mon local, je ne pouvais pratiquer que la guitare acoustique. Grâce à ça, j’ai composé toutes les chansons en guitare-voix et je les ai laissées respirer pendant l’été. Puis, l’automne est venu et je me suis lancée dans la recherche d’arrangements et de structure, toujours toute seule, avec un, deux micros, mon kit de drum, le piano, mes guitares. Finalement, j’ai croisé Louis-Jean Cormier, mon voisin du Studio Dandurand…
Comment s’est passée votre collaboration avec Louis-Jean Cormier?
C’était très constructif et bénéfique pour Mille ouvrages mon cœur. J’ai pu préciser ma pensée avec lui. Nous avons eu beaucoup de discussions. Je lui fais confiance, il peut me dire n’importe quoi. Nous sommes très à l’aise ensemble. Louis-Jean ne va jamais prétendre qu’une chanson est belle si ce n’est pas le cas. Il ne me protège pas et sait comment je me sens.
Nous avons donc récupéré le plus possible ce que j’avais déjà fait, car nous voulions en garder l’essence. Je travaille de manière très instinctive et réenregistrer aurait estompé l’émotion du moment. Ça aurait été un contresens de tout refaire. J’aime garder l’aspect brut, par exemple les bruits accidentels, et j’essaie qu’on «entende» mon local, l’ambiance. Les sons aseptisés ne me conviennent pas.
Louis-Jean a eu l’idée, que je trouve exceptionnelle, d’enregistrer les cordes et les instruments à vent dans une église. Ça a amené la dimension grandiose des envolées avec un reverb naturel.
Salomé Leclerc
La rue Dandurand est donc la pierre angulaire de votre album?
Environ 80% de Mille ouvrages mon cœur a pris forme entre les quatre murs de mon local, en effet. J’y suis comme chez moi. Je peux faire les voix comme je veux, recommencer 48 fois si j’en ai envie. Personne ne m’attend. Cette approche m’enlève beaucoup d’inquiétudes, j’y suis très attachée. Je me permets de tout faire. Je veux travailler dans un endroit qui ne m’intimide pas, car il faut être soi-même pour faire un disque.
Tout semble très fluide, mais avez-vous traversé des moments de doute?
Tout l’album s’est fait sans trop de réflexion avec un bel élan de création, de la facilité, une libération. Le doute est toutefois apparu lors de la direction finale… Quand j’ai commencé à penser à tout ça, quand on m’a envoyé les mix, je n’avais plus de marge de manœuvre. J’ai alors tout remis en question. Il fallait que je passe par là. C’était nécessaire, mais moins agréable. Aujourd’hui, je suis très fière de Mille ouvrages mon cœur.
Le temps est omniprésent dans Mille ouvrages mon cœur. Quel est votre rapport au temps? Êtes-vous nostalgique?
Le temps a toujours été présent dans ma musique, mais jamais autant que dans cet album. Il y a eu beaucoup de mouvement dans ma vie ces dernières années, beaucoup d’inconnu aussi. Je suis clairement nostalgique. Je me replonge souvent dans mes souvenirs de jeunesse, les chansons qui y sont associées. J’aimerais aller vers des covers de ces morceaux qui ont été très présents et sont significatifs. Je suis dans le passé, mais aussi dans le futur, la hâte des choses.
Que révèle le titre de votre album?
Mille ouvrages mon cœur s’inscrit dans la continuité de mon troisième disque, Les choses extérieures. C’est à partir de là que j’ai souhaité être plus proche de moi, que mes chansons soient moins filtrées. Ce travail sur moi a teinté ma musique. Un ouvrage, c’est du concret, c’est me lever à telle heure pour aller au local. Je m’imposais un rythme et je n’y ai pas dérogé. J’ai aussi beaucoup de projets manuels et physiques dans la vie. Le mot fait aussi référence à mes grands-parents qui travaillaient dans le bois, et vient chercher le côté nostalgique. Chaque printemps, Tes yeux à Barcelone font ainsi écho à la vague du souvenir.