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Est-ce le début de la fin des longs albums?

Geoffroy, Safia Nolin et Patrick Watson bousculent les façons de faire en musique. Photo: Archives Métro

Qui prend encore le temps d’écouter des albums au complet? Depuis l’avènement des plateformes en continu, l’écoute de listes de lecture et de singles a pris le dessus. Cette tendance encourage des artistes comme Safia Nolin, Geoffroy et Patrick Watson à ne plus s’imposer de contraintes de format.

Le mot «libérateur» revient à plusieurs reprises lorsque Safia Nolin parle de sa décision de délaisser le format traditionnel des albums de musique, qui durent en moyenne 45 minutes.

«C’est vraiment positif, ça a changé ma façon de créer de la musique», affirme l’artiste qui a lancé l’automne dernier le EP Seum.

L’autrice-compositrice-interprète estime rendre davantage justice à son art en livrant de courtes collections de chansons qu’en s’obligeant à se conformer à un modèle de création qui l’étouffe.

Elle ne cache pas sa déception face à la réception de son précédent long jeu, Dans le noir, paru en 2018. «J’avais tellement travaillé sur cet album, sur tous ses détails… Au final, c’est vrai qu’il était long et lourd.»

Faire de la musique est super précieux pour moi, ça vient d’un endroit tellement deep. L’album traditionnel est pour moi la façon la moins efficace d’en faire.

Safia Nolin

Sans délaisser complètement le long format, Geoffroy se sent lui aussi en paix avec la création d’albums plus courts. Son plus récent effort, Live Slow Die Wise, compte sept titres et dure 25 minutes.

«C’est un projet complet en soi, explique-t-il. Je ne voulais pas étirer la sauce juste pour arriver à un nombre de chansons standard, comme s’il fallait combler un vide imaginaire. Au final, on s’en fout que ce soit plus court.»

Étirer la sauce et passer dans le beurre

Grande mélomane, Safia Nolin remarque elle-même un changement dans ses habitudes d’écoute. «Je consomme énormément de musique, mais en ce moment dans la vie, j’ai de la difficulté à écouter des albums. J’en écoute sur vinyle, mais dans le jour, j’écoute des playlists et des chansons sur shuffle», admet-elle.

Un petit tour sur les plateformes comme Spotify permet de constater un fossé dans les statistiques d’écoute des chansons d’un même album.

«Les gens disent qu’ils écoutent des albums, mais ce n’est pas vrai! lance-t-elle en riant. Ils essaient, mais ils ne sont pas capables et je les comprends. C’est quasiment rendu une job d’écouter un album au complet!»

Ainsi, lorsque des artistes sortent un long format, certaines chansons sont inévitablement sacrifiées. Un constat partagé par Geoffroy. «Tout est orienté sur les chansons et non sur les albums», dit-il.

Safia Nolin cite en exemple Claire, un titre qui devait se trouver sur Dans le noir, mais qui est finalement sorti par la suite. «Le single a vraiment bien marché, mais je ne crois pas que cette chanson aurait eu la même vie si je l’avais sortie sur l’album», croit-elle.

C’est pourquoi Patrick Watson a lui aussi choisi de privilégier les formats courts. Dans le communiqué de presse annonçant la sortie de son EP A Mermaid in Lisbon l’an dernier, il annonçait ses intentions.

«À partir de maintenant, je vais explorer le concept des parutions de trois chansons. Il s’agit d’une structure historique, assez longue pour créer un monde, mais assez brève pour capter l’attention des gens en cette ère moderne», expliquait l’artiste qui a décliné notre demande d’entrevue pour ce reportage.

Son prochain projet, Better in the Shade, qui paraîtra le 22 avril, s’inscrit dans cette tendance: il comptera sept chansons totalisant 22 minutes.

Je veux me laisser libre à la création, sans contrainte ni barrière de comment je crois que ça va être écouté.

Geoffroy

Une industrie traditionnelle

Voir certaines de ses chansons être ignorées au détriment de quelques extraits est une grande déception pour les artistes qui consacrent énormément de temps et d’énergie à confectionner un album dans son ensemble.

Le hic est que l’industrie de la musique privilégie encore ce type de création. Par exemple, les albums longs sont reconnus et récompensés par l’ADISQ, les Juno ou le prix Polaris, mais pas les EP.

«Si j’étais un artiste, j’aurais le même réflexe que Safia Nolin et Patrick Watson, avance tout de même le musicologue et professeur au département de musique de l’UQAM Danick Trottier. Plutôt que d’investir du temps sur un album dont plusieurs chansons ne feront plus parler dans quatre mois, je lancerais un EP et garderais d’autres chansons pour une autre sortie.»

Même si l’album standard est plus prestigieux, le single permet davantage de rayonnement sur les plateformes et dans les radios. «Sur la page d’un artiste dans Spotify, on ne voit pas ses albums en premier, mais plutôt ses chansons les plus écoutées», remarque M. Trottier.

Selon Safia Nolin, il y a un décalage entre ce que l’industrie demande aux artistes et ce que le public veut. «Quand tu te mets à ne pas vouloir sortir d’album, tu dois redéfinir toute ta carrière», résume-t-elle. Un choix qu’elle ne regrette absolument pas.

L’éclatement des formats est pour le mieux, renchérit Danick Trottier, car il offre une plus grande liberté aux artistes. Un avis partagé par l’auteur-compositeur-interprète Les Louanges, qui estime que tout se vaut, lui qui a choisi un format long pour son album Crash. Au bout du compte, «c’est la musique qui décide», conclut-il.

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