Marc Beaupré: Retour d’un Remix
Depuis sa création à La Chapelle en 2010, Caligula (Remix) a voyagé en France, en Belgique et en Corée du Sud. En 2012, la pièce créée par Marc Beaupré a également été présentée au festival Montréal en lumière, où elle le sera de nouveau cette année. Entre-temps, Beaupré, lui, s’est entre autres glissé dans le rôle du sociopathe le plus attachant du petit écran, la superstar de Série noire Marc Arcand, et a mis en scène Ce samedi il pleuvait. Mais après toutes ces années, son Caligula, il le voit comment? «Comme un beau success-story», répond-il. Retour sur l’histoire à succès en question.
C’est une pièce comme on en voit rarement. La justesse du jeu, l’intelligence du texte, la conception sonore percutante, la mise en scène impeccable, l’émotion, l’impact, tout y est. «Caligula (Remix), c’est probablement ma plus grande réussite artistique à ce jour», remarque Marc Beaupré.
La longévité de la production confirme les dires du metteur en scène: c’est la troisième fois que cette œuvre sera reprise dans la métropole. Si le temps a passé, Beaupré en retire toujours un sentiment de «grande fierté». «Je surfe sur le succès [de cette pièce] depuis sa création. On s’y réfère constamment quand on me parle de mon travail», confie-t-il.
Il faut dire que, à la base, le défi était immense. Caligula, c’est une bête énorme. Un gros morceau. Un texte de Camus qui suit Beaupré depuis l’adolescence. Et auquel il s’est attaqué, somme toute, tôt dans son parcours. «J’aurais pu me dire: c’est une œuvre colossale, qui occupe également une place colossale dans ma vie, donc je vais attendre d’avoir atteint une certaine maturité pour la mettre en scène. Je me suis plutôt dit : ‘‘Ben non, c’est justement en la faisant maintenant que je vais me mesurer à mes plus grands rêves.’’ Puis, je l’ai fait.»
Il l’a fait en revisitant, en remaniant et en remixant le texte original. Le rôle gigantesque de l’empereur romain qui voulait la lune est incarné par cette bête de scène qu’est Emmanuel Schwartz. Autour de lui gravitent ses sujets. «Caligula, c’est l’exemple de la démesure. Mais ce qui est complexe, c’est qu’il teste son empire en disant: ‘‘Donnez-moi des raisons de ne pas faire tout ce que j’ai envie de faire, incluant de vous assassiner’’, explique Beaupré. [Et ses sujets] vont lui opposer la tendresse, l’amitié, la sagesse, la poésie ou l’art. Mais chaque fois il va dire: ‘‘Non, ce n’est pas assez fort, ça ne peut pas étancher ma soif d’éternité que je ne peux assouvir.’’»
En montant cette production avec Terre des hommes, compagnie dont il est le directeur artistique, Beaupré, lui, a en revanche assouvi un vieux désir, car Camus est pour lui «un compagnon de tous les instants». «C’est sa philosophie que j’applique quotidiennement, dit-il. Camus cautionne la révolte, mais il dit qu’elle a une limite extraordinaire : la dignité des autres individus autour de nous. Je trouve ça super beau.»
Ce qu’il trouve beau aussi, c’est que, depuis 2010, il n’a modifié que d’infimes détails dans sa production. «Je n’ose pas retoucher le show. Je n’ai pas envie de le retoucher. Les échantillons n’ont pas changé, le texte n’a pas changé…» L’équipe traîne toujours la table «immense, mais assez grossière» placée au centre de la scène, meuble qui devient contenant de transport quand le groupe part en tournée: «On enlève les tréteaux, les pattes, le dessus se referme… Cette année, on l’a sablée, mais depuis trois ans, depuis qu’on tourne, la table s’abîme. On adore ça.»
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Ce Remix entre parenthèses est un reflet de la démarche de Beaupré qui souhaite, ultimement, bouleverser les conventions. «Revisiter un peu – sans trop de prétention – comment on fait le théâtre», précise-t-il. C’est pourquoi il dit être «très consciencieux» dans le choix de ses projets. Ne pas dire oui à tout ce qu’on lui propose. «Je n’aurai pas envie de mettre en scène un texte si, à la base, il n’y a pas quelque chose dedans qui me donne le goût de pleurer. Pas parce que c’est triste, mais parce que c’est beau. Et parce que ça témoigne de la complexité de l’humanité.»
Les deux dernières œuvres qui ont rempli ces critères – et qu’il a mises en scène –, c’est Ce samedi il pleuvait, d’Annick Lefebvre (qui a été présentée aux Écuries), et la pièce au titre-fleuve Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël, de Michael Mackenzie, qu’on a pu voir au Théâtre d’Aujourd’hui. Pour expliquer sa démarche, Beaupré cite un conseil reçu de René-Daniel Dubois, son «père spirituel». «Il m’a toujours dit: tu vas avoir tellement de raisons de te décourager dans la vie si tu veux faire de l’art, tu vas te dire tellement souvent que t’as le goût de décrocher, que si la raison pour laquelle tu t’es lancé dans un projet à la base ce n’est pas parce que ça t’a complètement bouleversé… t’es aussi bien de ne pas le faire.»
Caligula, par exemple, l’a bouleversé complètement. «Ce personnage me donne le goût de pleurer tellement sa tentative est noble. Il essaye juste de trouver une raison de s’élever au-dessus de l’absurdité de la vie et personne ne lui en donne une suffisante. C’est ça, Caligula.»
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Bienvenue dans le MarcARCand World
Il porte des gants de ski. Il a un tatouage marqué «Redemption» dans le dos. Ses cheveux gominés sont peignés en raie sur le côté. Il carbure à la méthode Stanislavski et sort ses nunchakus dans les ruelles. C’est le type le plus étrange du petit écran. C’est Marc Arcand – véritable rockstar névrosée de la téléSérie noire. «Je n’aurais jamais rêvé d’avoir un personnage aussi intéressant à jouer», remarque Beaupré, qui tient ce rôle-phénomène sur ses épaules spécialement musclées pour l’occasion. «Des fois, j’ai l’impression que ça va probablement être mon âge d’or de comédien.»
L’acteur remercie du reste les coscénaristes François Létourneau et Jean-François Rivard, également réalisateur de la série, qui lui ont «créé un personnage aussi complet». «Je sais très bien que j’y ai mis du mien, mais c’est tellement l’écriture qui est à la base de tout, observe-t-il. On me demande souvent de jouer les bums. Mais Marc Arcand, c’est un bum qui, tout d’un coup, devient attachant. Il est cool. Il est gentil.»

Marc Arcand? «Il est démesuré… et touchant», estime Marc Beaupré. / Radio-Canada
Caligula (Remix)
À l’Usine C
Du 26 février au 1er mars