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«Cyclorama» des deux solitudes  

Laurence Dauphinais et Antoine Yared dans Cyclorama.
Laurence Dauphinais et Antoine Yared dans «Cyclorama». Photo: Valérie Remise

Avez-vous une idée des pièces qui ont été jouées en anglais à Montréal cette année? Probablement pas. Et c’est devant ce constat que la créatrice Laurence Dauphinais s’est lancée dans Cyclorama, une comédie documentaire bilingue présentée conjointement par le Centaur et le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.  

Dans la foule du Montreal English Theatre Awards (META), il y a quelques années, l’actrice a pris conscience qu’elle ne connaissait qu’une poignée de gens sur le millier de personnes présentes. Dans sa ville, dans son milieu. «C’est devenu une évidence qu’on ne se connaît absolument pas. J’ai commencé à me demander pourquoi», raconte-t-elle à Métro.  

Cette prémisse, qui est à la fois celle du spectacle et celle de sa recherche, l’a menée vers l’histoire du théâtre montréalais. D’abord dominé par les anglophones, cet espace culturel est désormais pleinement occupé par les francophones, qui ont davantage de théâtres, de pièces et de financement.  

Un peu d’histoire 

Pour Laurence Dauphinais, passer par l’histoire du théâtre à Montréal, «c’était donner un accès sensible à ces grandes questions de société qui sont traitées souvent de la même manière, par les mêmes exemples et les mêmes clichés». 

L’exode d’un demi-million d’anglophones en 50 ans, le FLQ, le rapport Durham et la bataille des plaines d’Abraham sont ainsi tant de lieux communs effleurés dans Cyclorama sans en être le cœur, puisque les deux solitudes – sujet aussi complexe que maintes fois discuté – sont abordées par le prisme de l’art, offrant un regard différent des analyses traditionnelles.  

Le ton, qui se perd un peu durant le troisième acte, est très comique, rempli de lignes bien punchées qui font rire autant de soi-même que de l’autre, une façon de regrouper anglos et francos dans une même salle «sans qu’ils aient envie de s’arracher la tête», rigole l’autrice et metteuse en scène.  

Les historien.ne.s Erin Hurley et Alexandre Cadieux dans «Cyclorama». Photo: Valérie Remise.

De la même manière, l’aspect documentaire s’est imposé de lui-même. D’abord parce que Laurence aime faire des «projets qui ont une accroche dans le réel», mais surtout parce que l’objectif de Cyclorama était de répondre à l’ignorance par la connaissance. «Comment faire passer de la connaissance sans didactisme? Ce n’est pas évident, alors je me suis dit que j’allais l’assumer complètement en engageant des profs d’université dans mon show», s’exclame-t-elle.  

Ainsi, deux historien.ne.s du théâtre, Alexandre Cadieux et Erin Hurley, sont sur scène avec la créatrice et son ami, Antoine Yared, par qui on aborde l’identité québécoise d’immigrants. La présence des deux universitaires, qui se débrouillent drôlement bien pour des acteur.rice.s non professionnel.le.s, excuse un peu l’usage des micros, une pratique de plus en plus répandue au théâtre, malheureusement.  

Voyage multidimensionnel 

Cyclorama, qui désigne une image offrant un panorama circulaire à 360 degrés, a une sacrée particularité: la pièce se déroule en trois lieux. Du Théâtre Centaur, dans le Vieux-Montréal, où se déroule le premier acte, on se déplace en autobus vers le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, dans le Plateau, où se conclut le spectacle.  

Le deuxième acte de «Cyclorama» se déroule dans un autobus qui transporte le public d’un théâtre à l’autre. Photo: Valérie Remise.

Si l’idée vient avec quelques bémols, notamment des petits délais d’attente entre les déplacements qui font un brin décrocher du récit, elle sert aussi le propos.  

C’était l’occasion de redécouvrir sa ville complètement différemment. Il y a cette expérience sensible par accumulation de couches qui fait qu’à la fin, on n’est plus du tout à la même place. On est constamment amené à se repositionner par rapport à ce qu’on entend dans le spectacle, parce qu’il y a plein de points de vue représentés. Il y a tout un rapport au déplacement intellectuel, sensible et physique. 

Laurence Dauphinais 

C’est en effet une force de Cyclorama que de nous pousser à réfléchir. Sans sortir de la pièce avec une idée bien arrêtée, on a envie d’approfondir des conversations. Et justement, c’est ce que Laurence Dauphinais, qui a commencé à travailler sur son projet bien avant la loi 96, souhaite provoquer.  

Parce que si la réforme de la loi 101 n’est pas la bougie d’allumage qui a lancé l’écriture du spectacle, elle vient certainement mettre de l’huile sur le feu et rendre la pièce très à propos.  

«Je trouve que c’est excessivement propice pour avoir des conversations de fond, parce qu’il y a clairement une polarisation qui est importante, exprime l’interprète. Voir les résultats de la dernière campagne donne l’impression qu’on a un Québec monolithique, que tous les Québécois pensent la même chose, qu’ils ont tous peur de la même chose, et ça, je trouve ça excessivement dangereux.» 

Remplie d’humour, mais aussi d’éléments factuels qui poussent à la réflexion, Cyclorama est une pièce pertinente au regard de l’actualité récente, où la place du français et l’immigration ont souvent été discutées. Antoine Yared, québécois d’origine libanaise qui passe le plus clair de son temps en Ontario pour travailler, est une véritable découverte dont la présence ajoute une couche à la dualité linguistique de Montréal. Surtout, le spectacle donne des pistes pour que la collaboration entre les théâtres francophones et anglophones de la métropole ne soit pas qu’éphémère.  

Cyclorama 
Jusqu’au 5 novembre 
Théâtre Centaur et Centre du Théâtre d’Aujourd’hui 

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