Philippe B, nouveau papa, même artiste
Six ans se sont écoulés depuis le précédent opus de Philippe B. L’auteur-compositeur-interprète met au monde chez Bonsound son sixième album, Nouvelle administration, qui raconte avec la sensibilité poétique qu’on lui connaît sa nouvelle vie de père.
Avec ses textes intimes à l’avant-plan, ses harmonies vocales féminines évanescentes, ses douces mélodies à la guitare, son écrin épuré et ses arrangements de cordes délicats, ce nouvel opus s’inscrit organiquement dans le sillon de son prédécesseur, La grande nuit vidéo.
Et Philippe Bergeron, de son véritable patronyme, s’en réjouit! Car il l’affirme sans ambages : il n’a pas essayé de se réinventer. « Avec cet album, j’étais dans un processus vraiment personnel. J’essayais pas de faire quelque chose différemment; j’essayais de faire quelque chose tout court », raconte-t-il en entrevue avec Métro, attablé dans un café de Villeray, quartier où il a installé ses pénates ce printemps avec sa petite fille et son amoureuse, après deux ans vécus en Montérégie.
« C’était déjà beaucoup. OK, j’ai fait une chanson, je suis encore capable! », s’encourageait en créant le volubile multi-instrumentiste au regard perçant.
Un nouveau décor
Si le créateur d’Ornithologie, la nuit (2014) et de Variations fantômes (2011) se demandait s’il était même encore en mesure d’écrire des chansons, c’est que l’arrivée de son enfant a transformé son quotidien. « Je n’ai plus le même espace mental, mon temps n’est plus occupé pareil. Il fallait que je voie si j’étais capable de faire mon artisanat dans cette nouvelle vie », explique-t-il.
La nouvelle vie à trois n’avait certes plus rien à voir avec celle du gars qui jouissait de toutes ses journées pour écrire et jouer de la musique tranquille dans son appartement, alors que son amoureuse, à l’époque danseuse contemporaine, était au travail.
Les chansons de Nouvelle administration, Philippe B les a échafaudées sporadiquement durant la grossesse de sa blonde, son congé de paternité d’un an, auquel a immédiatement succédé la pandémie. Avec la vie qui grouillait sans arrêt en arrière-plan dans leur cocon durant cette période, les moments de solitude pour composer se sont faits rares.
« J’ai plein de mémos de téléphone sur lesquels tu entends du jasage en arrière ou un enfant qui se met à hurler, et ça coupe. Ma création a eu l’air de ça. » Ce n’est pas pour rien qu’elle s’est échelonnée sur quatre ans.
« C’était difficile, avoue Philippe B. Je ne réussissais pas à finir des chansons, je laissais des trucs en chantier. Mais avec le recul, d’avoir fait l’album malgré tout dans ce contexte-là, c’est que les chansons voulaient sortir. »
Et sont nées de cette nouvelle vie de famille foisonnante de questionnements inhérents à ses balbutiements — comme où le couple souhaitait-il déposer son cœur avec sa fille — « certaines des chansons les plus inspirées, les plus solides » de son répertoire, estime-t-il, ému.
Écrire la paternité… sans quétainerie
Les trois sphères de tailles diverses posées sur un escalier en bois qui ornent la pochette, l’on se plaît à les interpréter comme son petit univers à trois, sa blonde, sa fille et lui, qui fait battre le cœur de l’album.
Il était tout naturel que Philippe B, qui fait de sa vie la matière première de ses chansons depuis toujours — « parfois, c’est de l’autobiographie, carrément » —, relate sa nouvelle vie de père, qui s’est substituée au rapport amoureux comme axe fondamental de ses textes.
Or, l’auteur souhaitait que ses textes parviennent à toucher le Philippe B de 30 ans qui n’avait pas d’enfant, « qui n’était pas là-dedans du tout ».
Pour ce faire, il lui importait de trouver des « angles pour parler de l’expérience de la paternité, de l’amour pour son enfant sans tomber dans le quétaine ou le trop fleur bleue, que ce soit intéressant, pas redondant ». Ce qui, il l’admet, ne fut « pas toujours si évident ».
Ce défi, il est heureux de l’avoir relevé avec des chansons telles que l’inaugurale Je t’attends, Pauline à la ferme, Les orages là-bas, Les filles ou celle qui clôt l’album sur une envolée céleste de guitare électrique, L’ère du Verseau, le signe astrologique de sa fille, qui allait remettre le compteur à zéro.
Seules deux chansons dérogent à l’autofiction, Marianne s’ennuie, sur ce couple moderne qui s’aime hors des sentiers battus, et la poignante Souterrain, où l’auteur natif de l’Abitibi se glisse dans la peau d’un mineur qui descend au centre de la Terre. Ces chansons diffèrent-elles trop du reste de l’album? s’était-il d’ailleurs demandé. « Ou est-ce qu’au travers de chansons qui parlent tout le temps de la même affaire, ça fait du bien? », dit Philippe B en riant doucement.
« Tout a changé, tout est pareil »
Au cœur des changements des dernières années — « qui m’ont permis d’avoir des choses à dire » —, c’est peut-être comme auteur-compositeur qu’il a le moins changé, observe Philippe B. « Je parle de choses fondamentalement différentes dans mes chansons, mais je le fais de la même manière. » Avec la même intimité, la même sensibilité, la même poésie, pensons-nous.
« Tout a changé, tout est pareil », chante-t-il dans la superbe pièce-titre, qui réfère au typique restaurant de quartier qui change de propriétaire sans pour autant changer de menu ou de décor.
Maintenant qu’il se sait encore capable de s’adonner à son artisanat, comme il l’appelle joliment, il s’imagine « pour la prochaine étape explorer d’autres couleurs, un autre ton, en continuant à varier les angles pour se raconter en chanson ».
« Ça reste un défi constant de durer, d’être pertinent, de continuer à faire la même chose, mais pas tout à fait. Dans une optique où je parle de moi, il faut que j’aie quelque chose à dire. Et que ça prenne pas six ans! », rigole-t-il. Ses fans souhaitent certainement la même chose.
Pour voir Philippe B en concert, c’est ici