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«La soif des corbeaux»: La Corriveau, de sorcière à femme

Dans « La Corriveau – La soif des corbeaux », Jade Bruneau (au centre) incarne Marie-Josephte Corriveau, à l’origine de la légende de La Corriveau, et Karine Lagueux (à droite), une journaliste relatant le procès de celle qui a été accusée de meurtre, puis pendue. Photo: Théâtre de l’œil ouvert

Selon la légende québécoise, La Corriveau aurait assassiné sept époux au 18e siècle. Or, derrière l’histoire sordide de Marie-Josephte Corriveau, accusée du meurtre de son mari et pendue en 1763, avant que sa dépouille ne soit exposée dans une cage de fer suspendue, est enfoui le récit tragique d’une jeune mère victime de violence conjugale. 

Voilà la trame que le public montréalais est convié à découvrir dans La Corriveau – La soif des corbeaux. Couronné de succès l’été passé à Joliette, le théâtre musical original sera présenté du 14 au 17 juin au Monument-National.  

Par cette création du Théâtre de l’œil ouvert, la parolière et autrice Geneviève Beaudet, qui signe texte et paroles avec Félix Léveillé, a voulu « faire honneur à la mémoire de La Corriveau », affirme-t-elle en entrevue avec Métro. « Sa mémoire a souffert de cette histoire qui l’a transformée en sorcière meurtrière. On a voulu ramener la vraie histoire et faire réfléchir. » 

Violence conjugale 

Comme beaucoup, Geneviève Beaudet associait La Corriveau, qui a vécu au sein du petit village de Saint-Vallier, dans la région de Chaudière-Appalaches, à cette vieille sorcière meurtrière au dos courbé et au nez crochu subsistant dans l’imaginaire collectif. Or, en creusant le sujet, elle a découvert « une histoire bien plus complexe qu’on pense », explique-t-elle.  

« C’était une femme d’à peine 30 ans, mère de famille, qui a eu deux maris — pas sept —, dont le premier est mort naturellement d’une fièvre ramenée de la guerre. Elle ne l’a pas tué du tout. » 

S’appuyant notamment sur les faits rapportés dans l’ouvrage La Corriveau : de l’histoire à la légende de Catherine Ferland et Dave Corriveau, les coauteur.trice.s ont découvert le récit d’une femme au mari violent.  

« Le père de La Corriveau se serait plaint aux autorités de la violence de son gendre, rien n’a été fait, expose la résidante de Ville-Marie. Marie-Josephte s’est déjà enfuie et a été ramenée de force dans son couple. Tout porte à croire qu’elle aurait été très inquiète pour sa vie et pour la sécurité de ses trois enfants, qu’elle a eus de son précédent mariage. » 

La légende transmise de bouche à oreille au fil des siècles prend racine dans le meurtre de ce second mari qu’aurait perpétré Marie-Josephte Corriveau… qui aurait possiblement tenté de se défendre, expose Geneviève.  

La mère a par la suite été condamnée dans le cadre d’un procès en anglais, langue qu’elle ne comprenait pas. Une méthode pour la cour martiale britannique d’asseoir son autorité en pleine conquête de la Nouvelle-France, apprend-on. 

Jade Bruneau, également metteuse en scène du spectacle, et Renaud Paradis incarnent respectivement Marie-Josephte Corriveau, dite La Corriveau, et son père. Photo : Théâtre de l’œil ouvert

Corbeaux et féminisme  

Ce récit est l’occasion pour l’équipe de création de dresser des parallèles avec la société actuelle. « Les femmes ne se font plus pendre ou brûler sur le bûcher, mais si on en fait une allégorie moderne, celles qui dérangent ou qui osent dénoncer leur agresseur se font souvent lyncher sur la place publique : mais qu’est-ce que tu portais? Qu’est-ce que tu as fait pour le provoquer? Ça, ça existe encore », souligne Geneviève. 

Cette opinion publique calomnieuse, macabre, est ici représentée par les corbeaux du titre, ces villageois.es médisant.e.s qui, tels des rapaces rôdant près de la mort, se muent en tribunal populaire. « Des gens avides de spectacle et de pendaison publique », illustre l’autrice, soulignant que les concitoyen.ne.s de Marie-Josephte Corriveau ne l’ont pas défendue, certain.e.s faisant même de faux témoignages. 

Elle établit évidemment un parallèle avec les réseaux sociaux d’aujourd’hui, « où les gens ont soif de sang », de coupables. « Et c’est facile de mettre la faute sur les femmes. » 

Le féminisme fait partie intégrante de l’acte créateur de Geneviève Beaudet, à qui il importait de porter l’histoire de Marie-Josephte Corriveau sous cet angle. Et de montrer qu’aussi lointaine soit-elle, elle peut se transposer à nos jours — d’où certains éléments anachroniques, comme un téléphone qui sonne, afin d’accentuer ces parallèles.  

Marie-Josephte Corriveau était victime d’un mari violent, campé par Simon Fréchette-Daoust dans La Corriveau – La soif des corbeaux. Photo : Théâtre de l’œil ouvert

Théâtre musical dramatique 

Outre honorer la mémoire de La Corriveau, Geneviève Beaudet et la metteuse en scène Jade Bruneau, qui incarne la protagoniste, souhaitaient par leur pièce « redonner ses lettres de noblesse au théâtre musical de création au Québec ». 

Les complices de longue date, qui ont étudié en jeu ensemble et joué dans plusieurs comédies musicales, dont Demain matin, Montréal m’attend, caressaient depuis longtemps le désir de créer un spectacle de ce genre. 

Car si les comédies musicales présentées au Québec constituent souvent des adaptations de comédies musicales états-uniennes — pensons à The Sound of Music, The Bodyguard ou Hair, qui prendra sous peu l’affiche — donnant plutôt dans la légèreté, l’autrice revendique un théâtre musical dramatique, épique. « Il se peut aussi », souligne celle qui écrit également pour des groupes de musique.  

Pour ce faire, les collaboratrices ont voulu parler du Québec et explorer les contes et légendes du territoire — c’est ainsi qu’elles ont renoué avec la légende de La Corriveau.  

S’il leur importait d’en exposer la nature véridique et dramatique, explique l’autrice, le fait de s’inspirer de ce folklore permettait « aussi de se laisser aller dans la fantaisie, la tragique, le comique, le grandiose ».  

Fantaisie dans laquelle s’inscrit notamment la narratrice de la pièce, une journaliste contemporaine incarnée par Karine Lagueux, qui fait revivre le procès comme si elle y assistait en relatant les faits. Cette voix, Geneviève et Jade la voulaient féminine, une façon de « donner la parole aux femmes ».  

Devant l’engouement qu’a suscité La Corriveau – La soif des corbeaux, Geneviève Beaudet se réjouit d’avoir pu faire découvrir à une pluralité de publics, pas nécessairement férus de théâtre musical dramatique, toute la profondeur que peut revêtir ce genre. Et d’avoir rendu justice à une femme victime de son époque, transformée en sorcière. 

En plus des représentations à Montréal du 14 au 17 juin, La Corriveau – La soif des corbeaux sera présenté à Joliette et Victoriaville cet été, puis s’envolera en tournée au Québec à l’hiver.  

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