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La masculinité et la féminité remodelées à «OD dans l’Ouest»?

Audrey et Frédérick, candidats à Occupation Double
Audrey et Frédérick, candidats à Occupation Double Photo: Gracieuseté Productions J

Cette année encore, Occupation Double figure parmi les 30 émissions de télévision les plus regardées au Québec. La modernisation de cette émission a permis de mettre en lumière une certaine dualité entre des modèles archaïques et renouvelés de féminité et de masculinité.


Chaque automne, la téléréalité Occupation Double accapare l’attention médiatique. Cette année encore, elle figure dans les 30 émissions de télévision les plus regardées au Québec. C’est qu’avec sa nouvelle mouture, mise en place en 2017, l’émission s’est considérablement modernisée: nouvelle équipe de production, animation moins protocolaire, montage cynique et décomplexé.

Alors que la grande finale d’OD dans l’Ouest est à nos portes, l’heure est à la rétrospective.

L’édition actuelle a débuté dans le scandale avec le renvoi d’un candidat au comportement problématique. En mettant en dialogue plusieurs événements marquants de la saison, force est de constater que bouillonne à OD une certaine dualité entre des modèles archaïques et renouvelés de féminité et de masculinité.

Doctorante en littérature et arts de la scène et de l’écran, mes recherches se situent à l’intersection des études féministes et audiovisuelles.

Autoreprésentation des filles d’OD lors des auditions

«Tu me gosses depuis le début», «Tu es tellement belle, c’est cave»: deux formulations employées par des candidats pour signifier leur intérêt amoureux. Comme si l’attachement naissant envers une femme devait être ramené à l’accusation, ou qu’un compliment ne pouvait être exprimé sans s’assortir d’une insulte déguisée.

Le discours envers les filles d’OD a, en début de saison, été empreint d’une certaine dépréciation, et pas uniquement de la part des garçons. Pour se présenter en auditions, plusieurs filles se sont décrites en des termes à connotation négative: «fatiguante», «attachiante», «comme un drink au goût amer». En ce qui a trait à leur niveau d’intensité, elles se sont dites jalouses et intransigeantes: «Je n’ai aucune zone grise, que du noir et du blanc» ; «Si tu es avec moi, tu ne sors pas avec tes amis. Je suis autoritaire, possessive».

Gracieuseté Productions J

Puisqu’au fil des épisodes, nous avons plutôt découvert des femmes complexes et nuancées, affirmées, mais pas déraisonnables, il est possible de supposer que les candidates jouent délibérément avec le lexique de l’intensité pour augmenter leurs chances d’être sélectionnées. Une promesse de «faire un bon show».

Par contre, ce type de discours simpliste qui assimile les femmes à la possessivité, à la radicalité et aux émotions mal contrôlées réactualise une vision archaïque de la féminité que certains regroupements masculinistes dangereux récupèrent d’ailleurs à leur compte.

Dynamiques de séduction paradoxales

En audition, plusieurs filles expriment ne pas être «chasseuses», préférant plutôt «être chassées». Cette association entre séduction et prédation rejoint un script sexuel vulgarisé par Lili Boisvert dans «Le principe du cumshot»: dans les scénarios sexuels dominants, le rôle des filles serait de se rendre attrayantes, offertes au regard des hommes à qui il revient de prendre les devants. Dans cette dynamique, le masculin est associé à l’actif et le féminin au passif.

Paradoxalement, les questions des juges en audition encouragent les filles à se décrire comme des séductrices intempestives, mais, lorsqu’une candidate fait les premiers pas ou démontre un intérêt pour plusieurs partenaires, les reproches du public et des candidats fusent: «Elle est chasseuse» ; «Juste de voir qu’elle passe pour la fille affamée du groupe, ça m’a refroidi beaucoup». La pétillante Jenny, autoproclamée «la femme fatale du Québec», a d’ailleurs été sacrifiée dès la première élimination parce que son caractère séducteur semblait menacer l’étiquette de gentil garçon de Luca.

L’aventure de Sabrina, éliminée à la mi-saison, aura aussi beaucoup fait couler d’encre. Son parcours a été entaché par un baiser échangé avec un autre candidat que celui avec qui elle s’était initialement liée, Nicolas. Sabrina n’a pas été en mesure de rattraper son jeu, multipliant ensuite sans succès les tentatives de séduction. Une partie du public a alors sévèrement critiqué l’attitude de Sabrina, semblant oublier qu’embrasser se pratique à deux, d’autant que Nicolas était lui aussi en «couple OD» avec une autre candidate.

Le jeune homme est pourtant resté dans les bonnes grâces du public, un double standard qui fait sourciller: le slutshaming, qui a teinté plusieurs commentaires, démontre que l’auditoire tend à se montrer assez rétrograde envers les joueuses d’OD qui déploient ce type de stratégie, en dépit du potentiel de séduction valorisé en audition.

La masculinité en conflit

Le cas d’Alexandre dévoile une autre faille dans la stratégie de mise en scène qui consiste à sélectionner des candidats pour leur potentiel à créer la confrontation. Son attitude était plus qu’une simple façade: plusieurs femmes ont par ailleurs témoigné sur les réseaux sociaux de leur expérience négative après l’avoir fréquenté.

Pour décrire la rudesse d’Alexandre, et parce qu’ils semblaient marcher sur des œufs en sa présence, les gars et les filles d’OD ont d’abord employé les termes «sensible» et «proche de ses émotions». Alexandre manifestait plutôt une franche intolérance au rejet et un besoin irrépressible de contrôle, assortis d’une incapacité à exprimer sainement ses émotions. La sensibilité suppose un degré d’attention aux autres, alors qu’Alexandre, lui, cherche des coupables à son insécurité, au point de se sentir visé même lorsqu’il n’est pas concerné. En sa présence, les autres candidats étaient dès lors privés de célébrer leurs propres victoires, et toutes leurs énergies étaient dédiées à l’apaiser en vain.

Audrey, sa préférée, ayant exprimé sa préférence pour Nicolas, Alexandre a fulminé : «La seule qui me plaît est vendue à Nicolas, vendue!», sous-entendant que la jeune femme serait dénuée d’esprit critique et de discernement. Pour Alexandre, si une femme ne le choisit pas, c’est forcément qu’elle est corrompue et n’est pas en mesure de reconnaître sa valeur, qu’elle est une «mauvaise fille» (épisode 6). Il s’agit d’un propos violent et dangereux rejoignant la ligne de pensée misogyne des incels.

Tendresse, tendresse

En revanche, plusieurs garçons d’OD se sont dévoilés sensibles et empathiques, dévoilant un autre modèle de masculinité. C’est notamment le cas d’Antoine, qui a traversé plusieurs remises en questions. Le jeune hypnotiseur a été capable de s’autoanalyser et de mettre des mots sur son insécurité. Sa détresse ne s’est pas tournée vers autrui, et il a accueilli les accolades réconfortantes de ses colocataires: l’insécurité d’Antoine fait la démonstration d’un modèle de masculinité où le sensible n’est pas en opposition avec la force.

Par ailleurs, la tendresse des candidats les uns pour les autres s’est exprimée ouvertement tout au long de la saison: les nombreux «je t’aime», «t’es cute» et les accolades ont contribué à présenter des jeunes hommes souvent attendris et émotifs. Soulignons l’un des moments forts de la saison, où l’athlète Stevens a fondu en larmes après avoir verbalisé sa déception de ne pas avoir été choisi pour les Olympiques. Pendant plusieurs minutes, les garçons l’ont écouté, ont pleuré avec lui, se sont étreints longuement.

Gracieuseté Productions J

Notons également la demande des garçons de recevoir, comme les filles, l’équipement nécessaire pour se faire des manucures. Jay Du Temple est lui-même, par ailleurs, connu pour son style flamboyant qui inclut bijoux et ongles multicolores. Même si les représentations vestimentaires sont loin d’être toujours subversives à OD (les déguisements des soirées thématiques incarnent fréquemment des fantasmes stéréotypés), l’adhésion des gars d’OD à la mode du vernis à ongles au masculin dévoile les prémisses d’un encourageant brouillage des normes sexuées.

L’agente double, arroseuse arrosée

On se désole cependant que la production ait si peu mis à profit son concept «d’agente double». Ce rôle laissait présager que la candidate choisie, Alexandra, recevrait des avantages lui permettant d’ajuster sa stratégie. Outre son premier voyage et un récent sursis de quelques jours, elle n’a reçu que quelques missions et une vidéo de ses proches (un maigre privilège si l’on considère que Clodelle a reçu la visite en chair et en os de son ex-conjoint et de son chihuahua !).

Alors qu’Alexandra a été impliquée dans un déchirant triangle amoureux dont elle est ressortie blessée, la production a raté l’occasion de lui permettre un degré supplémentaire d’agentivité. En manquant de l’informer plus tôt des remises en question de Robin (on lui a pourtant montré d’autres extraits inédits de discussions entre les garçons), la production l’a privée de modifier sa stratégie à son avantage.

On a plutôt multiplié les occasions d’assister à la déconfiture de la jeune femme : on a même imposé à Robin d’élire devant tout le monde laquelle de ses deux conquêtes embrassait le mieux. Robin, qui a avoué ouvertement avoir tenté de préserver sa relation avec Alexandra uniquement pour rester dans l’aventure, semble par contre toujours avoir une option sur la victoire. Alors qu’il use de manigances avant de choisir Marilou, il se victimise et fustige la présence d’Alexandra : «Mais qu’est-ce que tu fais encore là ?», s’écrie-t-il devant une vidéo de la résiliente agente-double, comme si c’était elle qui nuisait à son parcours.

Néanmoins, le soutien apporté à Alexandra de la part des filles aura contribué à mettre de l’avant une touchante représentation télévisuelle de sororité. Alexandra, qui se défendait en audition de ne pas être une «fifille» et disait préférer la compagnie soi-disant plus naturelle des garçons, aura été servie en termes d’amitiés féminines positives.

Pas un simple jeu

Si la téléréalité est un divertissement sensationnaliste, c’est néanmoins au spectacle de notre société auquel on assiste, pouvait-on lire dans une analyse publiée récemment. La brutalité sous-latente à certains éléments de cette saison d’OD est le triste reflet de plusieurs enjeux de société, notamment les violences faites aux femmes.

Par contre, plusieurs éléments prometteurs annoncent qu’un certain renouvellement des représentations est amorcé. Souhaitons qu’Occupation Double redouble d’efforts lors d’une prochaine édition qui pourrait proposer une plus grande diversité sexuelle et corporelle, et s’assurer d’offrir davantage de temps d’antenne aux personnes racisées. Le racisme dans les représentations à OD est en effet pointé du doigt par plusieurs personnalités publiques militant pour davantage de diversité au petit écran.

Pour des analyses féministes d’Occupation Double, voir le balado hebdomadaire Les Ficelles.

Anne-Sophie Gravel, Doctorante en littérature et arts de la scène et de l’écran (concentration cinéma), Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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