Un enfant et demi
Plus on a déployé d’efforts pour obtenir une chose, plus on la savoure. Avoir des enfants est tellement naturel que, lorsque tout va bien, ça se produit sans qu’on y consacre trop d’efforts. Sauf que la nature ne coopère pas toujours, surtout si on attend jusque dans la trentaine pour procréer.
Ma femme et moi nous sommes trouvés dans cette situation. Après mes études, j’ai obtenu un emploi, puis le moment est venu de fonder une famille. La première étape, c’était du gâteau : avoir des rapports sexuels! Puis sont venues les étapes deux à… j’ai perdu le compte. Attendre, être déçus, avoir d’autres rapports, être déçus, etc., jusqu’à ce que ça commence à vous peser et à miner votre couple.
Puis vient l’aspect médical : établissement d’une courbe de température, relations programmées selon le cycle, retard des règles qui entraîne de faux espoirs, analyse de sperme – ah, la joie de fournir un échantillon de sperme en milieu hospitalier… – prise d’hormones qui modifient la personnalité et le corps, inséminations artificielles, procédures in vitro… Après des années, nous avons dû accepter la réalité : notre rêve d’avoir des enfants risquait de ne jamais se réaliser. Nous avons alors songé à l’adoption.
J’ai demandé à un ami qui vivait la même chose que nous ce qu’il en pensait, et il m’a dit : «Je ne pense pas que je pourrais aimer un enfant qui ne me ressemble pas.» À chacun son opinion. Pour ma femme et moi, ce n’était pas un problème.
Sauf que les montagnes russes émotionnelles que nous avaient fait vivre nos problèmes d’infertilité n’étaient rien en comparaison de ce qui nous attendait : enquête de police, évaluation par des travailleurs sociaux, références personnelles, retards bureaucratiques pouvant durer des années, coût prohibitif (au moins 20 000 $), chagrin de voir un dossier se fermer alors qu’on a déjà acheté un billet d’avion et emballé les cadeaux de Noël et, dans mon cas, 40 heures de voyage en avion avec un bébé qui vomit sur moi et hurle pendant que les autres passagers hochent la tête en me demandant de «faire quelque chose!» Puis, cerise sur le gâteau, quatre longues nuits passées allongé sur le plancher de la chambre d’hôpital de ma fille…
Pour le père adoptif que je suis, paradoxalement, ces souvenirs rendent la vie encore plus agréable. Plus l’effort est grand, plus la récompense est gratifiante. L’adoption transforme profondément la vie.
Malgré tout le respect que j’éprouve pour les mères qui ont enduré 30 heures de travail, l’adoption me semble un processus encore plus difficile. Je dis souvent en plaisantant à moitié qu’un enfant adopté vaut un enfant biologique et demi. C’est pourquoi, lorsqu’on me demande combien j’ai d’enfants, je dis quatre… mais je suis toujours tenté de dire six.