Greffes, botox et piña colada
Cuba, Mexique et Costa Rica : ces destinations offrent bien plus aux touristes que leur cuisine ou leurs plages exotiques. Du traitement de canal à la chirurgie esthétique, en passant par la procréation assistée, les prétextes pour voyager dépassent maintenant largement le simple délassement et la récréation.
«Des traitements de dialyse sont offerts en français en Floride pour les Québécois hivernants, créant ainsi une industrie de consommation des soins de santé pour une clientèle recherchée», relève Rémy Tremblay, de la TÉLUQ et coorganisateur du colloque consacré au tourisme médical lors du récent Congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS).
Une pratique qui gagne en popularité
L’Institut Fraser estime à 52 000 le nombre de touristes canadiens partis se faire soigner à l’étranger en 2014 – en hausse de plus de 25% par rapport à 2013. Un phénomène en augmentation, mais encore mal cerné par les chercheurs.
Indisponibilité ou accès difficile aux services de santé, vieillissement de la population, ouverture des marchés, facilité de déplacement, apparence d’économie ou encore tabous sociaux quant à certains soins constitueraient les principales raisons pour aller se faire soigner à l’étranger.
Des croyances pas toujours fondées, souligne cependant William Menvielle, chercheur en marketing à l’Université du Québec à Trois-Rivières et coorganisateur du colloque. «À la chirurgie laser des yeux qui peut nous paraître moins chère en Pologne, il faut ajouter le voyage, l’hébergement, les frais supplémentaires et tous les risques et l’anxiété que cela peut générer chez le patient», explique-t-il.
À la suite d’une étude du Groupe de recherche sur le tourisme médical, le chercheur s’est intéressé à la différence de perception des risques liés au tourisme médical auprès d’une quarantaine de participants du Québec et de la France.
Si les Français font confiance à leur médecin, les Québécois écoutent plus volontiers les expériences racontées dans les émissions télévisées et lisent davantage les informations glanées sur le web. En ce qui concerne les destinations médicales soleil, tous conservent certaines craintes. «Seulement 10% des Français et 4 à 5% des Québécois se laisseraient tenter. C’est loin de ce que j’ai pu lire dans la littérature scientifique jusqu’à maintenant, soit que 50% des Français et 65% des Canadiens y seraient favorables», souligne-t-il.
La plus grande influence pour tenter sa chance : une expérience positive relatée par un proche peut inciter un patient à lui emboîter le pas. Le manque de rationalité agit aussi sur la motivation à partir. «La limite numéro 1 reste le biais de confirmation. On lit souvent, dans les forums consacrés à ce type de voyage, des commentaires comme: “Je cherche des faits, mais ne me faites pas changer d’opinion”», ajoute la chercheuse Claudia Pelletier, également de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Rien de nouveau sous le soleil
Le tourisme médical ne constitue pas une grande nouveauté. Cette forme de voyage remonterait à la Grèce et à l’Égypte anciennes, et le thermalisme, très populaire au XIXe siècle, connaît un certain renouveau. En Tunisie, par exemple, où «prendre les eaux» séduit une clientèle encore très locale, le thermalisme pourrait relancer le tourisme, pense Fathy Boulifa, chercheur à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Sousse, en Tunisie.
«La plupart des 10 500 curistes y viennent pour leur santé et sont souvent pris en charge par la sécurité sociale. Cet accès au thermalisme pourrait être élargi à une clientèle internationale vieillissante dont les maladies chroniques et professionnelles sont en hausse», note le chercheur. Son enquête montre que l’intérêt est là.
En effet, il apparaît parfois plus facile – et moins coûteux – de prendre l’avion que de se résigner à patienter pour obtenir les soins nécessaires à son bien-être chez soi. D’ailleurs, les experts réunis à ce colloque sont d’avis que cette forme de tourisme, en plus de croître fortement, se diversifie grandement. Destinations, lieux d’origine des patients, profils sanitaires, le tourisme médical est plus éclaté qu’auparavant. «On associe encore le profil type du touriste médical à un homme de plus de 60 ans fortuné, mais aujourd’hui, toutes les classes sociales pratiquent ce genre de tourisme», précise la géographe française Virginie Chasles, maître de conférences à l’Université Jean Moulin de Lyon, en France.
Clientélisme des actes de santé
Soutenue par le gouvernement (allègement de taxes, attribution de visas médicaux gratuits, procédures facilitées pour plus de 150 pays), l’Inde fait actuellement la promotion du tourisme médical et du bien-être. Les chirurgies cardiaques et de l’œil, les greffes et les pratiques basées sur le bien-être du corps et de l’esprit (ayurveda et yoga) constituent les soins les plus convoités par la clientèle étrangère.
Ce pays accueille également des patients occidentaux à la recherche d’espaces permissifs pour des soins non autorisés dans leur pays autour desquels règne un flou juridique, comme la procréation assistée et la gestation pour autrui.
Et c’est sans compter les actes illégaux, peu documentés et sensibles, tels que la transplantation d’organes. «Cette réalité, loin d’être anecdotique, renvoie à l’exploitation de la misère. Vendre un rein en Inde est devenu une banalité, tout comme porter un enfant pour autrui contre rétribution», explique la chercheuse.
Dans le supermarché mondial de la santé apparaissent alors des enjeux moraux, éthiques et de solidarité sociale. Sous les images de calme et de volupté de ces destinations soleil se dissimulent aussi des recoins sombres du tourisme médical centré sur les besoins des Occidentaux.