Fin des émissions pour une radio à la prison de Bordeaux
Enregistrée à la prison de Bordeaux, par des détenus, l’émission les Souverains anonymes s’arrêtera en mars prochain. Son initiateur, Mohamed Lotfi, a annoncé la fin du projet dans sa forme actuelle lors de la célébration des trente ans de ce programme.
Depuis sa création en 1989, l’émission est produite par des hommes incarcérés à l’établissement de détention de Montréal. Ils s’occupent de la préparation, de la recherche, des interviews, entre autres.
D’abord émission de radio diffusée notamment sur les ondes CIBL, celle-ci a évolué pour devenir ensuite une webtélé permettant de filmer les rencontres. «Depuis trente ans, grâce à Souverains anonymes, on s’est intéressés à la prison autrement que lorsque ça va mal ou lorsqu’on parle d’émeutes», raconte Mohamed Lotfi, producteur de l’émission.
Celle-ci offrait une fenêtre sur l’extérieur aux prisonniers, mais permettait aussi à des artistes, des écrivains ou des hommes et des femmes politiques de pénétrer dans l’univers carcéral. Plus de 800 personnalités tels Céline Dion, Jean Béliveau, Paul Buissonneau ou Normand Baillargeon sont allés à la rencontre des détenus de Bordeaux.
L’émission a été aussi un moyen pour des prisonniers d’exprimer leurs états d’âme à travers de la poésie, la chanson, le happening théâtral ou des courts métrages filmés dans l’enceinte même de la prison.
Certains y ont découvert une vocation comme Jus. «C’est ici que je me suis initié la poésie», dit-il, alors qu’il tente de poursuivre une carrière de chanteur de rap à l’extérieur. Ayoub qui purge encore sa peine, s’adonne à son activité préférée : jouer es bout en train. «Ils aiment bien quand je chante en arabe», lance-t-il. En incluant l’ensemble des activités connexes à la production de l’émission, M. Lotfi estime qu’au moins 25 000 détenus ont pu y participer depuis le lancement.
«J’ai atteint ma limite»
Toutefois, l’émission est devenue trop lourde à porter pour un seul homme. «Je ne peux plus faire le travail de quatre ou cinq personnes, admet-il. J’avance dans l’âge et faire des heures de montage, c’est difficile. J’ai atteint ma limite.»
Souverains anonymes : L’émission tire son nom d’un concept simple : la prison de Bordeaux est un château, et ceux qui y résident, les détenus, sont des souverains.
La fin de l’émission ne signifie pas la fin des activités. Une fois par semaine, M. Lotfi ira voir les détenus pour animer un atelier de théâtre. «Ce sera tout de même un grand changement, admet M. Lotfi. Mais j’ai pris une forme moins lourde. Est-ce que je vais inviter de temps à autre un homme ou une femme de théâtre ? Est-ce que je vais filmer ces ateliers ? Peut-être, mais ce ne sera pas comme dans la forme classique.»
Mémoire
Avant d’annoncer la fin de Souverains anonymes, M. Lotfi a voulu offrir au public un accès numérique à trente ans de travail avec les détenus. Les centaines d’heures d’émissions de radio, les milliers de photos et les dizaines de vidéos qui ont été réalisés à Bordeaux sont accessibles sur Internet.
«C’est une trace de ces trente ans, mais c’est un petit bout de ce qui s’est passé, confie M. Lotfi. Au fur et à mesure, je vais mettre en ligne du matériel pour faire la promotion du site.»
Par ailleurs, il a publié récemment chez Leméac éditeur Vols de temps, un recueil d’une cinquantaine de textes qui racontent des anecdotes sur des rencontres significatives entre des personnalités publiques. «S’il y a une relève, cela se poursuivra. Si cela disparait, on aura gagné trente ans», conclut M. Lotfi.