Un ancien professeur raconte Jean-Marc Vallée
Depuis sa mort le 25 décembre dernier, les hommages envers le cinéaste Jean-Marc Vallée fusent de toute part. Que ce soit des acteurs américains comme Matthew McConaughey, Jared Leto, Reese Witherspoon, son grand ami et confrère Denis Villeneuve, les comédiens québécois Michel Côté et Marc-André Grondin ou encore le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, plusieurs ont souligné son décès survenu inopinément. Dans l’ombre, son ancien professeur Pierre Pageau, qui l’a accompagné durant ses années au Collège Ahuntsic, est tout autant affecté par sa mort.
M. Pageau raconte que Vallée n’était pas prédestiné au grand écran au départ, alors qu’il avait simplement choisi le cinéma en guise de cours complémentaire. «Jean-Marc disait qu’il suivait ce cours pour se changer les idées, pour avoir un cours facile, se souvient l’ancien professeur. Finalement, il est tombé sur l’enseignant Yves Lever, qui était un ancien jésuite avec une façon d’enseigner assez stricte. En fait, ça l’a accroché énormément. Il a demandé à changer de programme pour étudier en cinéma.»
Une passion qui transparaît
Si M. Pageau convient que Vallée était doté d’un certain talent lorsqu’il le supervisait au niveau collégial, il considère que ce sont sa fougue et son caractère qui lui ont permis de se démarquer. Voire sa «tête de cochon», comme il le mentionne à plusieurs reprises. Il se rappelle d’ailleurs que si le réalisateur était très autocritique, il aimait moins les critiques des autres. «Il était autocritique de façon assez incroyable. Mais toi tu n’avais pas le droit de lui dire. Lui seulement pouvait», se souvient-il avec amusement.
M. Pageau se rappelle que Vallée manifestait aussi sa passion auprès de ses collègues étudiants. Il explique que le Collège Ahuntsic avait à l’époque un règlement strict concernant le roulement du matériel de cinéma afin que tous les étudiants puissent l’utiliser. Celui-ci n’était pas vraiment respecté par les élèves. «Une fois, je me dirigeais vers le local de prêt, raconte M. Pageau. Comme j’arrive à la porte, j’entends quelqu’un qui est en train de critiquer les élèves qui ne rapportaient pas le matériel. C’était Jean-Marc Vallée. Il avait monté la voix de façon assez forte. C’était génial, étant donné que ça venait d’un étudiant, ça avait plus d’impact que si ça avait été un professeur. Après ça, j’ai beaucoup aimé Jean-Marc Vallée.»
Selon M. Pageau, l’une des plus grandes forces du réalisateur résidait également en ses capacités de monteur. «Tout le monde dit que Jean-Marc Vallée était un grand directeur de comédien. Et c’est vrai, c’était un grand directeur de comédiens. Mais lui, ce qu’il aimait le plus, c’est le montage. Dans sa maison sur le Plateau, une grande section était réservée à sa table de montage. Il faisait tout ce qu’il pouvait pour reconditionner le film à son goût», souligne-t-il.
Yves Lever et Pierre Pageau ont tous deux gardé contact avec leur ancien élève après sa graduation. C’est finalement des années plus tard, en 1995, que les anciens professeurs se retrouvent aux premières loges pour assister aux débuts cinématographiques du réalisateur. Tous deux ont en effet campé un petit rôle dans son premier long-métrage, Liste Noire.
C.R.A.Z.Y., un projet longuement caressé
C’est à peu près à la même époque que la sortie de Liste Noire, en 1995, que Vallée commence à penser à la trame du film qui allait réellement lancer sa carrière, C.R.A.Z.Y., se souvient M. Pageau. «Yves Lever nous avait invités à souper, Jean-Marc et moi, raconte l’ancien professeur. Je n’oublierai jamais. Nous étions assis sur le divan et Jean-Marc nous parle d’un film qu’il aimerait faire plus que tout. Il s’est mis à nous raconter C.R.A.Z.Y de façon incroyable. Je ne sais pas si ça a pris 20 minutes, 30 minutes ou 1h, mais il avait le film en tête plan par plan, avec la musique et les personnages ».
Le rêve inassouvi de Jean-Marc Vallée
Si Vallée était passionné par C.R.A.Z.Y. des années avant sa sortie, un autre projet a bénéficié du même traitement. Malheureusement, et il s’agissait sans aucun doute d’un grand regret pour le réalisateur selon M. Pageau, car celui-ci n’a jamais pu voir le jour. «Pour moi, Jean-Marc est mort avec une grande déception, et c’est de ne jamais avoir pu faire son film sur Janis Joplin, insiste-t-il. Autant il voulait faire C.R.A.Z.Y., autant il voulait faire Janis Joplin. En raison de toute une série d’embarras, il n’a pas réussi à le faire. Je suis certain à 300 millions d’années-lumière que Jean-Marc a été très déçu de ne pas avoir pu le réaliser.»