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Lettre ouverte: Le manque d’humanité: ça suffit!

Photo: Archives/TC Media

Dimanche 8 février 2015. Je roule sur l’A-20 en direction de Montréal, de retour des funérailles de mon frère aîné, décédé le 23 janvier. Un immense panneau-réclame de la Fédération des infirmières du Québec (FIQ) attire mon attention: Ça suffit! Laissez-nous soigner. Je ne peux que me demander si les dirigeants syndicaux qui ont approuvé le slogan ont consulté la base au préalable…

Le 20 janvier, mon frère, souffrant de problèmes respiratoires et vraisemblablement d’une grippe, arrive en ambulance à l’Hôpital de Verdun. Au triage, le personnel médical fait un travail irréprochable. Mon neveu et ma sœur expliquent au médecin que mon frère est en phase terminale en plus d’avoir une artère bouchée. Le médecin pose son diagnostic: la fièvre se conjugue avec une pneumonie. La fin est proche. Le malade ayant déjà fait savoir qu’il ne voulait pas être soigné, il est convenu de l’isoler dans une chambre de l’urgence (par crainte d’une infection nosocomiale) en attendant qu’une chambre se libère pour qu’il reçoive des soins palliatifs.

Mon frère rend son dernier souffle dans la nuit du 23 janvier. Durant cette longue agonie, on lui administre des soins palliatifs qui n’ont guère pallié sa douleur. On se croirait, non pas au Québec en 2015, mais plutôt en Azerbaïdjan en 1972. À l’urgence, les soins se limitent à l’inhalothérapie aux deux heures. Les membres de la famille se relaient au chevet du malade à demi-conscient. Incontinent, il se plaint d’être mouillé. Mon neveu se rend au poste des infirmières pour qu’on le change (personne n’avait pensé installer une sonde). Une heure plus tard, personne n’est encore venu. Le médecin fait sa visite et dit à mon neveu de réitérer sa demande. L’infirmière du poste lui répond que ce n’est pas son travail et l’invite à trouver un préposé. Le fils finit par en trouver un qui accepte de changer mon frère.

Le personnel de l’urgence traite mon frère comme s’il était déjà mort. À l’exception du médecin qui fait sa ronde le matin, personne ne vient s’enquérir de son sort. La famille le fait boire et lui humecte les lèvres. 18 heures. Un préposé entre avec un plateau et hurle: « Hé! Capitaine! » As-tu faim? » Il secoue brusquement le pied de mon frère pour attirer son attention. Mon neveu répond qu’il est mourant mais qu’il n’est pas sourd. La douleur s’intensifie mais les médicaments administrés ne suffisent pas. Le médecin prétend qu’il ne faut pas assommer le malade. Nous sommes d’un tout autre avis.

Le spectacle est intolérable. Vers 15 h, nous demandons à l’infirmière d’augmenter la dose pour apaiser ses souffrances. Mais c’est un presque un crime de lèse-majesté que d’oser contester le protocole. Taisez-vous pauvres amateurs et laissez-nous soigner. On nous répond machinalement que c’est le changement de quart et qu’il faudra être « patient ». Les esprits s’échauffent. Vers 19 h, mon neveu est resté seul au chevet de mon frère. Les secrétions s’accumulent dans la gorge et débordent même sur les lèvres. On croirait entendre un percolateur à puissance maximale. Quatre-vingt-dix minutes se sont écoulées et pas l’ombre d’une infirmière à l’horizon. Mon neveu essaie tant bien que mal de lui nettoyer la bouche. Il aborde une infirmière qui accepte de venir s’occuper de son père… une demi-heure plus tard mon neveu pose des questions et on lui répond que « ça fait partie du processus ».

Mon frère cadet et moi sommes de retour vers 21 h et nous ne pouvons plus supporter que notre frère soit ainsi laissé à lui-même pour vivre ses dernières heures. Nous décidons d’engager une infirmière privée pour lui prodiguer les soins nécessaires pendant la nuit, une présence qui n’a guère l’heur de plaire à l’infirmière de nuit. Vers minuit trente, au moment où nous nous apprêtons à partir, mon frère finit par trépasser. Nous sommes soulagés et attendons le médecin résident, qui sera la seule personne de l’étage à faire véritablement preuve d’empathie. Tant l’infirmière qui tend les documents à mon neveu que la préposée de l’administration qui lui explique les formalités ne connaissent pas l’expression « Mes condoléances ». La chaleur humaine et la compassion ne font pas partie des valeurs de cette usine à soins. Sans doute aurait-il fallu aller dans une clinique vétérinaire pour que l’on se soucie davantage de nos états d’âme.

Bien sûr il faut s’attendre à ce que tout le monde se renvoie la balle. Le personnel invoquera le manque de ressources et les conditions inhumaines dans lesquelles il doit s’acquitter de ses tâches. Le Ministre clamera haut et fort que sa réforme sera la panacée. Il est permis d’en douter. Non seulement notre système de santé est un gouffre financier sans fond, mais la culture organisationnelle déshumanisée semble systémique et immuable. En définitive, ce sont toujours les bénéficiaires, qui ne bénéficient pas toujours des soins nécessaires, qui doivent être patients, très patients, et soumis. Mais parfois la majorité silencieuse a elle aussi envie de dire que ça suffit. Et vous, chers Dr Barrette et Dr Couillard, vos frères ou vos sœurs auraient-ils eu droit au même traitement à l’Hôpital de Verdun?

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