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Delisle et Lemoine déboutés en Cour d’appel

Sous le régime anglais, la Cour des sessions trimestrielles, vulgairement appelée Cour des sessions de quartier, accordait les permis aux passeurs propriétaires de traverses. Ces permis étaient octroyés au plus offrant et les sommes ainsi recueillies étaient distribuées aux pauvres ou à un service public. On n’accordait pas plus d’une demi-heure d’attente de chaque côté du cours d’eau et on devait assurer un service jour et nuit. S’il y avait des plaintes, le permis pouvait être révoqué.

En 1938, Marie-Marguerite Lalongé, dite Gascon, veuve de Michel Sigouin, louait, pour sa vie durant, son droit de traverse et un droit de passage sur la côte à Sigouin à Michel Corbeil du Sault-au-Récollet. À cause de cette entente, la famille Sigouin, pour une période de plus de 15 ans, n’exploitera pas de traverse à Saint-Vincent-de-Paul. Cependant, Benjamin Sigouin fils de Michel, travailla à certains moments comme engagé pour d’autres propriétaires de traverses comme Césaire Germain ou comme Delisle et ses associés Jusqu’en 1849, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes entre les associés. Les affaires ne pouvaient qu’être florissantes. C’était le chemin qu’empruntaient les gens de Terrebonne, de Sainte-Rose, de Sainte-Anne-des-Plaines, de New Glasgow et de Saint-François-de-Sales pour se rendre à Montréal et qu’utilisaient aussi les voyageurs en provenance du Sault-au-Récollet, de la Rivière-des-Prairies, de la Pointe-aux-Trembles et de Montréal pour se rendre dans les paroisses ci-mentionnées.

Tout en veillant sur son étude de notaire, sa ferme et sa traverse, Césaire Germain préparait en douce sa sortie de la société de la traverse à Sigouin. Son premier geste fut de se faire céder gratuitement par les héritières de Jean Rocan, dit Bastien, leur part dans la société. En échange, celles-ci recevaient l’assurance d’être traversées gratuitement leur vie durant et aussi longtemps que la dite société existerait. En cas de vente par Césaire Germain de sa part à Delisle et Lemoine, une clause de l’entente leur assurerait le même privilège tant sur la traverse que sur le pont. Le pont Delisle-Lemoine fut inauguré et béni le 26 juin 1849 par Mgr

Ignace Bourget, évêque de Montréal. On le nomma pont des Saints-Anges. Cependant dans le document de l’époque, on parle plutôt du pont Delisle-Lemoine. Dès la première année, la malchance s’acharna sur les deux associés. En effet, une travée du pont s’écroula.

Le 2 mars 1850, Germain et sa mère, Marie-Angélique Dusablé, veuve et héritière de Jean-Baptiste Langlois, dit Germain, vendaient leurs parts dans la société Délisle et Lemoine.

Le premier geste posé par eux fut de rendre la traverse Sigouin inefficace sur la rive de Saint-Vincent de sorte que ses usagers l’abandonnent au profit de leur pont. Pour ce faire, on augmenta les tarifs de la traverse et on baissa ceux du pont en dépit de la loi 1847, qui les avait fixés à un niveau plus élevé que ceux de la traverse. Quant au servie, il était lamentable.  Quant au service de nuit, il était inexistant. Et, la traverse fut fermée durant quinze jours.

On négligea complètement l’entretien de la côte à Sigouin qui était presque inutilisable et les voitures y circulaient à leurs risques et périls. Cette côte était devenue la seule qui permettait aux usagers de la traverse d’atteindre le chemin du roi, le boulevard Lévesque actuel. Lorsque Césaire Germain était associé dans la traverse à Sigouin, on pouvait passer par un chemin au travers de sa terre et monter par la côte de la rue Bellevue actuelle, dont la pente était beaucoup plus douce. Depuis la vente, Césaire Germain avait fait barrer le chemin aux deux extrémités et on ne pouvait y passer sans risquer d’être poursuivi en justice.

Ce ne fut que le 17 octobre 1850 que Corbeil et Lebeau-Lalouette furent informés du changement d’associés. Par l’intermédiaire du notaire Joseph-Évariste-Odilon Labadie, ils présentèrent un protêt à Delisle et Lemoine les enjoignant de respecter le contrat de société du 12 mars 1840. Ils reçurent une fin de non-recevoir.

Un long procès s’en suivi. Il se déroula en deux étapes. La première devant la Cour supérieure et la deuxième devant la Cour d’appel. Le premier procès débuta le 19 avril 1851. Me F.-N. Delorme, avocat des demandeurs, plaida, d’une part, qu’en achetant la part des Germain, Delisle et Lemoine assumaient les mêmes obligations que Césaire Germain et sa mère et qu’ils devaient respecter les conditions de l’entente du 12 mars 1840 et, d’autre part, que la loi du 28 juillet 1847 autorisant la construction de leur pont stipulait que : «  … pourvu aussi que rien du contenu au présent ne s’étendra à affecter ou n’affectera la traverse maintenant existante à l’extrémité supérieure du village de Saint-Vincent-de-Paul, connue comme la traverse à Sigouin, et on pourra continuer à y percevoir des péages comme avant la passation du présent acte. »

Quant aux avocats des défenseurs, Cherrier, Dorion et Dorion, ils plaidèrent que l’entente du 12 mars 1840 ne formait pas une seule société mais deux sociétés distinctes et indépendantes, l’une exerçant son activité au Sault-au-Récollet et l’autre à Saint-Vincent-de-Paul.

La Cour supérieure rendit jugement le 17 juin 1851. Elle acceptait l’interprétation de la défense et débouta les demandeurs avec dépens.

Corbeil et Lebeau-Lalouette ne se tinrent pas pour battus et portèrent leur cause en appel. La Cour d’appel commença à tenir ses audiences le 15 octobre 1851 avec l’audition du premier témoin, Marguerite Hamelin de Saint-Vincent-de-Paul, épouse de Benjamin Sigouin. Pas moins de 67 témoins défilèrent à la barre dont 51 en faveur des demandeurs et 16 en faveur de la défense.

Les témoins des demandeurs se plaignaient des actes posés par Delisle et Lemoine, et ajoutaient dans certains cas que le passage par la traverse raccourcissait leur trajet. Les témoins de la défense décrivaient la côte à Sigouin comme un chemin dangereux, même dans les meilleures conditions d’entretien, ce qui les incitait à passer par le pont. Ils affirmaient que l’ouverture de deux ponts sur la rivière des Prairies ne pouvaient que nuire  à la traverse à Sigouin, que sur un pont on pouvait traverser en toute saison et que le chemin sur la côte du Sault-au-Récollet était en meilleure condition au pont qu’à la traverse.

La Cour d’appel rendit son jugement le 20 mars 1857. Elle cassait le jugement de la Cour supérieure, déclarait la société dissoute et condamnait Delisle et Lemoine à payer les 300 louis de dédommagement réclamés par les  demandeurs et aussi à payer les dépens.

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