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Le manque de respect

Frédéric Bérard

L’éducation, pour une trop rare fois, est au menu de cette chronique. Étant indubitablement un produit de mon époque et de ma société, mon mutisme à cet égard se veut déplorable.

Empêtré dans «l’urgence» des «crises» factices (accommodements raisonnables ou… algues bleues), le socle par excellence de nos sociétés passe ainsi, inévitablement, dans le tordeur de notre indifférence généralisée.

L’adoption sous bâillon du controversé projet de loi 40, sous faux prétexte de promesse électorale (95% de son contenu, désobligeant pour les profs, n’a jamais même été mentionné en campagne), en est la meilleure preuve. Qui, outre les profs eux-mêmes et leur syndicat, a manifesté quelconque objection? Fort peu.

La goutte ultime, dans mon cas précis, est tombée il y a quelques jours à peine. Je revoyais alors certains tweets de François Legault, du temps de l’opposition.

En gros: pourquoi les profs seraient-ils moins payés que les avocats, les ingénieurs et les architectes? Un gouvernement caquiste, promettait Legault, augmenterait de 10 à 30% les salaires des enseignants québécois. Eh ben.

En gros: pourquoi les profs seraient-ils moins payés que les avocats, les ingénieurs et les architectes?

Voilà qui contraste avec l’offre présentée à ceux-ci, qui s’apparente plutôt à… 1,4%. Alors, soit le premier ministre a depuis changé d’avis sur la valeur sociétale des profs, soit la promesse discutée se voulait une simple astuce, pas trop subtile, visant à grappiller un électorat cible. Votons pour la deuxième.

S’ajoute à cela, donc, le coup de pied balancé par la loi 40 dans l’organigramme scolaire avec, comme premières victimes, les… enseignants. Trouvez l’erreur.

Au-delà du salaire, il y a un truc qui revient, systématiquement, au cours d’une discussion avec un prof du primaire ou du secondaire: le respect. Ou plutôt son manque.

Le manque de respect envers les profs

Le manque de respect d’un point de vue ressources humaines, là où trouver une aide pédagogique permanente, aussi nécessaire qu’utile, relève du quasi-miracle.

Le manque de respect sur le plan des infrastructures, les écoles québécoises s’assimilant de plus en plus aux champs de ruines, champignons et autres pourritures en prime.

Le manque de respect se traduisant par des classes surchargées, bondées, où les cas plus problématiques siphonnent l’ensemble du temps et de l’énergie humainement disponibles.

Le manque de respect par rapport à l’horaire, là où les journées pédagogiques sont qualifiées, par le premier ministre lui-même, de «journées de congé».

Le manque de respect quant au rôle et à la fonction, pourtant névralgiques dans toute société qui se… respecte, justement. Parce que vous en connaissez beaucoup, vous, des nations figurant au palmarès du bonheur faisant peu de cas de leur système éducationnel? Pas moi.

Suis tombé récemment – la vie fait parfois bien les choses – sur la lettre d’Albert Camus destinée à son ancien prof en Algérie, écrite après avoir remporté le Nobel de littérature.

19 novembre 1957

Cher Monsieur Germain,

J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur, mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève.

Je vous embrasse, de toutes mes forces.

Albert Camus

Voilà ce que représente, pour moi et plusieurs autres, la valeur d’un prof. Serait bien de leur donner la chance, si minime soit-elle, de faire grandir de prochains petits Camus…

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