Les funérailles
Accompagner un enfant de cinq ans à des funérailles est une expérience très intéressante que je recommande à tout le monde. Et comme mon fils Johnny Trempe (nom probablement fictif) avait 1 852 questions, je me suis retrouvé à être celui qui devait expliquer nos rites funéraires à quelqu’un qui ne les connaissait pas du tout. J’ai été rapidement emporté dans une succession de questions-réponses qui s’ouvraient, tel un gouffre sans fond, à chaque nouvelle étape des obsèques, celles-ci étant une gracieuseté de la tradition judéo-chrétienne et de la Coop funéraire de l’Est.
Assis à côté de moi pendant toute la cérémonie, se levant et s’assoyant quand on le lui demandait, mon garçon me posait question après question, d’abord en murmurant, puis de plus en plus fort à mesure qu’il se dégênait.
Et chacune de mes réponses amenait un nouveau degré d’étonnement dans ses yeux:
– Papa, elle est où la madame qui est morte?
– Elle est ici, dans ces deux contenants-là, ai-je dit en pointant l’autel. On appelle ça des urnes.
– ILS L’ONT COUPÉE EN DEUX?!
– Euh, pas vraiment. Ils ont réparti ses cendres dans les deux urnes pour que les membres de sa famille ou ses descendants puissent chacun garder un souvenir.
– C’est quoi, des cendres?
– C’est ce qui reste quand tu brûles quelque chose.
– ILS L’ONT BRÛLÉE?!
– Euh, on dit «incinéré», mais en gros, c’est ça, oui.
– Dans un feu?
– Pas dans un feu. Dans un four.
– ILS L’ONT MISE DANS UN FOUR?!
– Euh (regrettant de plus en plus mes réponses), dans un four spécial fait pour ça, oui.
– Mais on va pas la manger?
– Jizuz-Creist! Ben non, Coco, on ne va pas la manger. Cibole. Incinérer, ça veut dire «réduire en cendres». Ça veut dire «brûler complètement».
– Comme quand t’as brûlé les croque-monsieur l’autre jour?
– Euh, en quelque sorte, dis-je, en sifflotant comme un épais parce qu’une vieille tante nous regardait de plus en plus de travers. OK, Coco, c’est assez les questions maintenant. On va aller voir la famille là-bas et on va lui dire qu’on est désolés, OK? Tu vas être gentil, d’accord?
Avec le recul, il se peut que j’aie une part de responsabilité dans ce qui s’est passé par la suite. Parce que Johnny Trempe – blondinet parmi les blondinets, édenté parmi les édentés (oui, il s’est pété une palette sur le plancher de la cuisine il y a deux mois, tout juste après avoir prononcé l’une des phrases les plus stressantes de la langue française pour un père, c’est-à-dire : «Regarde bien papa, ma cascade!») – oui, bref, Johnny s’est approché d’un membre de la famille endeuillée et, en lui serrant la main et avec son ton le plus solennel, il a dit:
– Je suis désolé que quelqu’un ait trop brûlé votre femme, monsieur. Mon papa aussi brûle des choses au four.
– …
Voilà donc ce qui s’est passé. Pis toi, ta semaine va comment à date?