Intérêt croissant pour les cryptomonnaies: le début d’une cohésion internationale?
Dans un contexte où les cryptomonnaies sont très accessibles et qu’elles gagnent en popularité, comment doit-on interpréter le décret du gouvernement américain pour le développement responsable de ces actifs? Une analyse Simon Dermarkar, de HEC Montréal.
ANALYSE – Le 9 mars dernier, le président des États-Unis, Joe Biden, signait un décret qui engage son administration dans le développement responsable entourant les actifs numériques. Bien qu’il soit impossible de prévoir si les actions concrètes qui en émergeront seront favorables à l’essor des quelques 6 000 à 8000 cryptomonnaies existantes, dont le fameux Bitcoin, il semble assez clair que le gouvernement des États-Unis démontre, par ce décret, une ouverture d’esprit inédite face à l’industrie des cryptoactifs.
Un mois avant, presque jour pour jour, les forces de l’ordre américaines annonçaient le dénouement impressionnant d’une longue enquête sur un vol de près de 120 000 bitcoins perpétré en 2016. Ce vol avait été commis sur la plate-forme d’échange de cryptomonnaies de l’entreprise Bitfinex, après qu’un pirate informatique soit parvenu à s’introduire illicitement dans les systèmes de l’entreprise pour y réaliser plus de 2 000 transactions non autorisées, détournant ainsi les bitcoins d’un nombre important de clients de Bitfinex.
Dans ce dénouement, le FBI est parvenu à mettre la main sur 94 000 unités de bitcoin volées, valant près de 3,5 milliards de dollars américains au moment de la saisie et représentant la plus importante confiscation financière répertoriée aux États-Unis.
Le procureur général adjoint de la division criminelle du ministère de la Justice américaine évoquait avec fierté le fait que la récréation était terminée pour les malfaiteurs, qui se croient au Far West dans l’univers des cryptomonnaies. Cette enquête démontre à quel point les forces de l’ordre sont parvenues à cheminer dans leur compréhension, leurs connaissances et leur expertise en matière des actifs cryptographiques.
Bien que l’issue de cette enquête et la signature du décret ne soient pas nécessairement liées, les États-Unis semblent avoir gagné un certain confort qui les amènent désormais à vouloir réfléchir sur le potentiel que peuvent représenter les cryptomonnaies et la création d’un éventuel dollar numérique américain. Bien sûr, l’analyse des risques qui en découlent ne sera pas pour autant évacuée du processus, mais, avec ce décret, les États-Unis prétendent vouloir conserver une position de leadership au chapitre des développements technologiques (y compris des cryptoactifs) sur la scène mondiale.
Depuis quelques années, je m’intéresse à la culture des données et aux nouvelles technologies qui affectent la profession comptable. À ce titre, j’ai produit un cas pédagogique d’envergure portant spécifiquement sur l’audit des états financiers d’une société opérant dans l’industrie du minage de Bitcoin. Ce projet a requis que je me penche sur plusieurs facettes comptables, légales et environnementales des cryptomonnaies, de leur fonctionnement et de leur encadrement.
Une motion internationale
Les États-Unis ne sont pas les premiers à encourager de telles réflexions. Plusieurs autres nations ont déjà lancé des démarches de cette nature, notamment en ce qui concerne le déploiement de monnaies numériques de banque centrale, soit des devises numériques garanties par les gouvernements de ces pays. Dans son récent décret, l’administration Biden souligne justement le fait que plus d’une centaine de nations ont déjà emboîté le pas en explorant ou en testant le développement de leur propre monnaie numérique pour complémenter la monnaie souveraine de leur pays.
Par exemple, au Canada, la banque centrale a annoncé, il y a plus de deux ans, l’amorçage de sérieuses réflexions quant au déploiement de sa propre monnaie numérique. De surcroît, ça fait déjà plus de cinq ans que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières « ont lancé un bac à sable réglementaire afin d’appuyer les entreprises spécialisées en technologie financière (fintechs) souhaitant offrir des applications, des produits et des services novateurs au Canada ».
Par ailleurs, plusieurs autres nations ont également pris des décisions assez sérieuses en matière de cryptomonnaies (autres que celles issues de banques centrales). Alors que certains pays bannissent carrément toutes activités liées à ces cryptomonnaies (la Chine), d’autres embrassent leur adoption, et ce, même à titre de monnaie nationale, comme au Salvador, où parallèlement au dollar américain, le Bitcoin est désormais considéré comme une devise légale du pays.
Un manque de cohésion lourd de conséquences
Ce manque de cohésion et le caractère éclectique des directions empruntées par différentes nations de notre planète génèrent des incertitudes significatives à tous les groupes (d’individus, d’entreprises, de gouvernements) directement ou indirectement intéressés par (ou impliqués au sein de) l’industrie des cryptoactifs. Cela défavorise les développements responsables en la matière.
Certains groupes qui – en raison de leur expertise et de leurs ressources (par exemple, Amazon) – pourraient être appelés à jouer des rôles importants dans ces développements, choisissent d’adopter une approche prudente du type « attendez et voyez » ou de rester sous le radar par rapport à leurs intentions en la matière des cryptomonnaies. D’autres, qui y voient un potentiel et tentent de s’y investir plus amplement, craignent énormément les actions gouvernementales qui, suivant des mesures extrêmes, pourraient abruptement annihiler tous leurs efforts et investissements.
En novembre 2021, les actifs cryptographiques auraient surpassé une capitalisation économique de 3 mille milliards de dollars américains. Par ailleurs, un nombre non négligeable et grandissant d’individus auraient déjà investi, transigé ou utilisé des cryptomonnaies, entraînant conséquemment une hausse fulgurante des fraudes les visant. Il est donc peu plausible que l’on parvienne à faire entièrement marche arrière face à cette industrie des cryptomonnaies, sans provoquer d’immenses conséquences financières non désirables.
Une meilleure cohésion internationale en ce qui concerne l’encadrement et les développements des cryptomonnaies permettrait aux législateurs ainsi qu’aux forces de l’ordre de différentes nations d’adopter des actions atténuant le climat d’incertitude qui règne dans l’industrie, en plus d’assurer une meilleure protection au public investisseur.
Les chercheurs doivent s’intéresser aux cryptomonnaies
Force est de constater qu’il faut s’intéresser davantage aux cryptomonnaies, ne serait-ce que pour mieux les comprendre afin de les encadrer adéquatement et de protéger le public face aux risques qui en découlent.
Ainsi, au-delà des actions gouvernementales, la recherche sur le sujet des cryptomonnaies connaît un essor important, notamment en finance, en génie et en technologie, en économie, en politique, en droit, tant sous l’angle local qu’international. Par ailleurs, bien que timidement grandissante, la recherche en comptabilité et en certification pourrait également jouer un rôle prépondérant.
Soulignons également que la profession comptable jouit d’une voix unifiée planétairement en matière de normalisation de la préparation, de la divulgation et de la certification d’informations financières et non financières. Ces organismes de normalisation et leur dynamique internationale sont étudiés depuis déjà un certain temps par les chercheuses et les chercheurs en comptabilité et en certification. La littérature découlant de ces études pourrait être une ressource non négligeable pour nourrir la recherche s’intéressant à la dynamique de réglementation internationale relative aux cryptomonnaies.
Si le récent décret de l’administration Biden permet de tendre progressivement vers l’unification des voix des puissances économiques mondiales en matière de réglementation, de développements et de protection du public relativement aux cryptomonnaies, nous pouvons dire que ce décret constitue un évènement historique assez important pour cette industrie.
Bref, les défis et, surtout, les occasions à saisir ne manquent pas au chapitre des cryptoactifs.
Simon Dermarkar, professeur associé, HEC Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.