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Mary Simon: un précédent inquiétant qui sert aussi les intérêts du Québec

Justin Trudeau, premier ministre du Canada, marche dans un couloir avec Mary Simon, gouverneure générale du Canada.
Photo: Twitter/Justin Trudeau
Jérôme Gosselin-Tapp - La Conversation

La nomination de Mary Simon, une femme autochtone du Québec qui ne parle pas français, comme gouverneure générale du Canada a fait couler beaucoup d’encre depuis deux semaines. Dans une analyse publiée dans le média La Conversation, le doctorant en philosophie Jérôme Gosselin-Tapp estime que le Québec peut tout de même y trouver son compte sur le plan constitutionnel.

ANALYSE – La nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale du Canada ne fait pas l’unanimité au Québec parce qu’elle ne parle pas français. Après avoir reçu plusieurs centaines de plaintes à ce sujet, le Commissariat aux langues officielles du Canada a d’ailleurs annoncé hier qu’une enquête sera menée sur le processus ayant mené à cette nomination.

Le fait de nommer une gouverneure générale qui ne peut s’exprimer dans les deux langues officielles crée un précédent inquiétant. Or cette nomination répond tout de même aux intérêts du Québec en reconnaissant un statut spécial aux minorités nationales.

Mary Simon a été nommée gouverneure générale du Canada le 6 juillet dernier. Cette femme a un parcours particulièrement riche. Elle a entre autres travaillé comme journaliste à CBC, en plus d’avoir été ambassadrice du Canada au Danemark. Elle a aussi participé à la négociation des dispositions concernant les nations autochtones au moment du rapatriement de la Constitution canadienne en 1982.

Au Québec, tout comme dans les autres communautés francophones du pays, le choix d’une gouverneure générale qui ne parle pas français est vu d’un très mauvais œil, et ce, même si la nomination d’une femme inuk, originaire de Kangiqsualujjuaq, au Nunavik, constitue par ailleurs une avancée notoire sur le plan de la réconciliation.

Mes travaux des dernières années ont notamment cherché à penser une conciliation entre la pleine reconnaissance de droits collectifs pour les peuples autochtones et ceux de la nation québécoise. Or, pour bien comprendre les implications de cette nomination pour le Québec, il faut justement s’y intéresser sous l’angle de la réconciliation avec les nations autochtones.

Une nomination historique

La nomination de Mary Simon est historique, et ce, sur deux aspects bien différents.

D’une part, il s’agit de la première Autochtone à occuper le poste de gouverneur général au Canada. Cette nomination marque en ce sens un virage symbolique en matière de réconciliation avec les peuples autochtones. Cette avancée est opportune alors que la société canadienne doit se prêter à un important examen de conscience, dans un contexte marqué par les récentes découvertes de plus de mille tombes anonymes sur des sites d’anciens pensionnats pour Autochtones.

D’autre part, si cette nomination ne fait pas consensus au Québec, c’est qu’elle rompt aussi avec la convention de bilinguisme associée au poste de gouverneur général. En effet, elle parle l’inuktitut et l’anglais, mais pas le français, l’une des deux langues officielles du pays. Bien qu’elle se soit engagée à l’apprendre, cette promesse a été accueillie avec scepticisme tant au Québec que dans les autres communautés francophones du pays.

Un précédent inquiétant

Cette situation crée un précédent inquiétant. Elle rappelle la nomination en 2009 de Graydon Nicholas comme lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick. Tout comme Mary Simon, Graydon Nicholas était à la fois le premier Autochtone et la première personne unilingue anglophone à occuper ce poste dans la seule province officiellement bilingue du Canada.

Il semble bien que les conventions en matière de nomination de lieutenant-gouverneur aient changé au Nouveau-Brunswick à la suite de celle de Graydon Nicholas. En effet, Brenda Murphy, l’actuelle lieutenante-gouverneure de la province, est, elle aussi, unilingue anglophone, mais sans toutefois être Autochtone.

Une avancée pour les minorités nationales

Le parallèle qui peut être fait entre la nomination de Mary Simon et celles de Graydon Nicholas et de Brenda Murphy est certainement préoccupant. Ces nominations sont des symptômes d’une remise en question alarmante du principe de bilinguisme dans la société canadienne. C’est précisément cet enjeu linguistique qui explique la frilosité québécoise à l’égard de la nomination de Mary Simon.

Il n’y a cependant pas lieu d’interpréter cette nomination comme allant seulement à l’encontre des intérêts du Québec, bien au contraire. Qu’une personne autochtone occupe le poste hautement symbolique de gouverneur général remplit ultimement une autre exigence : celle de représenter les différentes minorités nationales du Canada.

Les minorités nationales au Canada, que sont les nations autochtones et la nation québécoise, sont caractérisées par leurs besoins particuliers. Pour assurer leur pérennité en tant que peuples, les nations autochtones et la nation québécoise doivent en effet être en mesure de résister aux pressions culturelle, politique et socioéconomique qu’elles subissent en Amérique du Nord. Il faut conséquemment que ces nations internes puissent jouir d’un statut spécial au sein de l’État canadien.

Sur ce point, les intérêts des nations autochtones rejoignent ceux du Québec, car, dans les deux cas, le contexte institutionnel actuel du Canada ne parvient pas à répondre à leurs besoins spécifiques. Une des manières de corriger cette situation est de lutter contre les effets homogénéisateurs du fédéralisme canadien en mettant en place des mesures qui induisent une asymétrie en faveur des minorités nationales. L’idée de fédéralisme asymétrique vise à mieux répondre aux revendications des minorités nationales en leur accordant des prérogatives dont ne disposent pas les autres unités fédérales.

Ainsi, la nomination de Mary Simon n’est pas complètement incompatible avec les intérêts québécois, car elle réaffirme le caractère plurinational du Canada. Non seulement s’arrime-t-elle bien avec la vision différenciée qu’a le Québec de la fédération canadienne, mais elle montre aussi que cette conception asymétrique du fédéralisme profite autant aux nations autochtones qu’à la nation québécoise.

Des alliés dans la lutte pour un fédéralisme asymétrique

Bien qu’allant à l’encontre du principe du bilinguisme, cette nomination contribue à contrer la conception mononationale du Canada. Elle confirme ainsi le statut spécial qu’il faut accorder aux minorités nationales dans la sélection de la personne représentant la monarchie britannique au Canada.

Pour que cette exigence soit pleinement remplie, la nouvelle gouverneure générale aurait dû maîtriser le français au moment même de sa nomination. Il est d’ailleurs étonnant qu’une personne avec une feuille de route aussi impressionnante n’ait pas eu à apprendre le français au fil de sa carrière. Ceci trahit assurément d’importantes lacunes quant à la pratique du bilinguisme dans les institutions canadiennes.

Dans tous les cas, le contrecoup qu’il faut à tout prix éviter est que ceci ouvre la porte à de futures nominations qui violeraient la convention de bilinguisme sans être destinées à mieux représenter les minorités nationales.

La nation québécoise a néanmoins plus à gagner en saluant cette avancée pour les nations autochtones qu’en la dénonçant. Accepter de compromettre ainsi exceptionnellement le principe du bilinguisme doit être vu comme un geste de solidarité à l’égard des alliés naturels du Québec que sont les nations autochtones. De cette façon, on évite de faire de la quête d’autodétermination interne des minorités nationales au Canada un jeu à somme nulle.


Jérôme Gosselin-Tapp, doctorant en philosophie, Université d’Ottawa

La version originale de cet article a été produite par La Conversation.

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