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Un salaire, deux visions

CHRONIQUE – Depuis le début du débat sur la rémunération des députés, l’argument principal de Québec solidaire pour refuser l’augmentation de près de 30% proposée par le gouvernement repose essentiellement sur le fait que les députés soient en conflit d’intérêts pour voter leur propre augmentation de salaire. C’est 100% vrai et tout à fait épineux, voire gênant. En ce sens, la posture de Gabriel Nadeau Dubois – ne pas se voter une augmentation substantielle – est courageuse et cohérente, mais pas que. Cette posture a aussi l’avantage de mettre en évidence une vision de la rémunération et un rapport à la richesse qui sont diamétralement opposés.  

Premièrement, l’augmentation salariale que les députés se voteraient eux-mêmes n’est pas seulement intéressée financièrement : elle est politiquement stratégique. Hausser le salaire des députés constituerait un avantage majeur pour la CAQ et les Libéraux, qui recrutent leurs candidats majoritairement dans le milieu des affaires, où un salaire annuel de 100 000$ est l’équivalent de la misère noire. Pour eux, convaincre quelqu’un de leur milieu de réduire leur salaire de plusieurs dizaines de milliers de dollars pour se lancer en politique est loin d’être gagné d’avance. On imagine que c’est présenté comme un sacrifice à faire en échange de pouvoir, prestige et autres avantages intangibles. Québec Solidaire n’a pas besoin de cet avantage, puisque la formation politique recrute la plupart de ses candidatures dans le milieu communautaire. Plusieurs députés de QS ont empoché leur plus gros salaire à vie en débarquant à l’Assemblée nationale! Pour QS, refuser les augmentations des députés, c’est, oui, tenir compte du Québécois moyen dont le salaire médian dépasse à peine 35 000$ par année, mais c’est aussi empêcher la CAQ de jouir d’un avantage supplémentaire en matière de recrutement.  

Cet écart d’attentes salariales entre les personnes que l’on recrute chez QS et à la CAQ en dit beaucoup sur ceux qui nous gouvernent. Deux chercheurs de l’IRIS ont compilé les origines socioprofessionnelles des membres du gouvernement de la CAQ. Résultat : 46,7% des ministres viennent du milieu des affaires ou du secteur privé. Des gens qui, pour la plupart, trouvent probablement que faire 100 000$ par année est légèrement inconfortable. Comment ces personnes peuvent-elles comprendre la réalité des gens de la classe moyenne dont les revenus par ménage oscillent entre 81 262$ et 162 525$, ou celle d’une mère monoparentale qui fait son gros possible pour 38 000$ par année? Ces gens-là pourraient faire quelques millions annuellement s’ils retournaient dans leur milieu. Ça, c’est pour ceux qui ne continuent pas d’accumuler du capital dans des fiducies pendant leur passage sacrificiel en politique. Aucun riche ne s’empêchera de s’enrichir pour du pouvoir, du prestige ou autres intangibles.  

Les chercheurs de l’IRIS ont aussi pris note, quant à la composition du gouvernement, des absents, ceux qu’on ne trouve pas au pouvoir. «Nous ne retrouvons aucune travailleuse d’entrepôt, aucun préposé aux bénéficiaires, aucune chauffeuse d’autobus et aucun employé de commerce de détail. On ne trouve pas non plus de technicien de laboratoire, d’adjointe administrative ou de mécanicienne». 

Bien sûr, en plus de révéler une certaine déconnexion quant à la réalité financière de la majorité des Québécois, les discours tenus sur l’augmentation salariale des députés nous ont permis de voir assez clairement que, malgré que nous soyons en 2023, un certain sexisme demeure dans la compréhension de quelques élus de la CAQ en matière de rémunération. On l’a vu quand Bernard Drainville a demandé au journaliste Michel David s’il comparait réellement le travail des députés à celui des enseignantes. J’aimerais bien voir Bernard Drainville s’occuper d’une classe surchargée d’élèves avec défis nous dire sans suer combien il est ridicule de comparer son prestigieux poste de député à celui d’une vulgaire enseignante, pendant qu’il corrige ces copies d’examen un samedi de longue fin de semaine pour un salaire de 62 000$ par année.  

Pour le reste, je ne sais pas si François Legault voulait simplement pincer Gabriel Nadeau-Dubois – un jeune père de famille – en lui disant qu’un jeune père de famille «a le droit d’aller gagner le plus d’argent possible pour donner le plus possible à ses enfants», ou s’il voulait simplement nous exposer sa vision patriarcale du rôle de pourvoyeur au sein d’une cellule familiale hétérosexuelle. Pour être honnête, il a dit : « Un père de famille, un jeune père ou une mère de famille a le droit…», mais la fonction de député étant traditionnellement masculine, on sait bien ce qu’il avait en tête. Sinon, pourquoi ne dirait-il pas qu’une enseignante ou une infirmière a le droit d’aller gagner le plus d’argent possible pour donner le plus possible à ses enfants? Pourquoi n’arrive-t-on pas à offrir assez de places en garderie pour que le plus de mères de famille possible puissent aller gagner le plus possible d’argent possible pour leurs enfants? Pourquoi cette idée d’aller chercher le plus d’argent possible pour ses enfants ne fait pas partie du discours du gouvernement quand vient le temps de parler de la rémunération des femmes? Probablement en raison de son rapport à l’argent évoqué plus haut.  

L’argent, c’est relatif. Si vous demandez à une personne si elle gagne bien sa vie, il y a fort à parier que sa réponse aura plus à voir avec son milieu socioéconomique, sa classe sociale ou les gens de son entourage avec qui elle se compare qu’avec le montant qui se trouve sur sa déclaration de revenus. Est-ce qu’on a vraiment envie d’être dirigés majoritairement par des gens qui se comparent si désavantageusement avec le 1%?1 Moi, je vote pour plus de mécaniciennes, préposés aux bénéficiaires et travailleuses d’entrepôt. 

1 Au Québec, il faut faire plus de 190 000$ pour faire partie du 1%. Avec leurs allocations et régimes de retraite, plusieurs ministres atteignent ce seuil.   

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