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L’éducation d’Émile

CHRONIQUE – Ironiquement, il aura fallu l’arrivée de Bernard Drainville à titre de ministre de l’Éducation afin que l’on rediscute, enfin, de ce thème-phare. Je dis ironiquement, parce que seules les bourdes et bravades du néo-ministre auront réussi à amadouer les projecteurs. Quant à l’essentiel, cela dit, on repassera.

Parce que la réforme annoncée, pour laquelle Drainville promet péremptoirement de «résister à la résistance», s’embarrasse bien davantage de pouvoirs, de tracasseries administratives et de logistique. À des kilomètres, ainsi donc, d’une discussion de fond, voire philosophique, sur l’enjeu.

Une hérésie, quand on y pense.

Car, si maints éléments du système méritent analyse (pénurie de profs, conditions affreuses, infrastructures autant pourries que le régime, taux d’analphabétisme (complet ou fonctionnel) aux alentours de 50%[1]), n’en demeure pas moins qu’une réflexion d’envergure sur les «pourquoi et comment» de l’éducation s’impose d’urgence.

Le nez collé sur son propre miroir, une société peine souvent à dénicher le recul nécessaire à son autocritique, son introspection. C’est dès lors que les références aux classiques prennent leur importance, notamment en termes de perspectives.

Dans son célèbre Émile ou De l’éducation[2] (décliné en quelques chapitres), Jean-Jacques Rousseau pourfend les conventions d’usage. Pilier populaire et archi-respecté en la matière, le bouquin traverse les époques et est encore, à ce jour, invoqué à quelques endroits sur le globe. On pense notamment au Japon, où les autorités scolaires en imposent la lecture à tous les profs de… maternelle.

Et qu’est-ce qu’on y retrouve? De petits bijoux utiles à la réflexion québécoise.

D’abord, que l’école «cherche toujours l’homme dans l’enfant, sans penser à ce qu’il est avant que d’être homme». On passe ainsi, selon Rousseau, à côté de caractéristiques essentielles. Parce qu’avant d’être travailleur, l’enfant est avant tout un esprit vierge, ouvert à tout horizon. Observons la nature, suivons-la et cessons, nous dit le philosophe, de poser des bornes à même la réflexion pédagogique. Repoussons plutôt, et sans cesse, ses limites: «Proposez ce qui est faisable, ne cesse-t-on de me répéter. C’est comme si l’on me disait: Proposez de faire ce qu’on fait; ou du moins, proposez quelque bien qui s’allie avec le mal existant.» Dans cette même veine, observons la nature, et suivons-la.

Ensuite, il importera tout autant de former des citoyens: «Pour être quelque chose, pour être soi-même et toujours un, il faut agir comme on parle; il faut être toujours décidé sur le parti que l’on doit prendre, le prendre hautement, et le suivre toujours.» L’enseignant (ou le parent) doit ainsi «des hommes à son espèce, il doit à la société des hommes sociables; il doit des citoyens à l’État. Tout homme qui peut payer cette triple dette et ne le fait pas est coupable».

Troisièmement, et en écho au premier point, Rousseau s’attaque simultanément au conformisme, en défendant une éducation humaniste accordant davantage d’importance à l’émancipation individuelle qu’à l’apprentissage d’un boulot: «Qu’on destine mon élève à l’épée, à l’église, au barreau, peu m’importe. Avant la vocation des parents, la nature l’appelle à la vie humaine. Vivre est le métier que je lui veux apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre; il sera premièrement homme.»

En récapitulatif, prenons les enfants pour ce qu’ils sont réellement: des enfants. Repoussons leurs limites. Cultivons leur esprit citoyen, leur humanisme. Au diable les conventions ridicules, le conformisme réconfortant et l’objectif unique d’un boulot préformaté.

En d’autres termes, replaçons l’éducation, la vraie, au cœur de l’école québécoise. Sortons des sentiers battus. Allons cueillir le fruit de la culture, de la langue et de la réflexion critique. Créons un monde nouveau, un meilleur.

La parole de la fin à l’auteur: «Nous naissons faibles, nous avons besoin de force; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation.»

Ainsi soit-il.


[1] «Tenir compte du taux d’analphabétisme de près de 50 % au Québec»

[2] Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation (1762). Paris: Garnier, 1961, 664 pages.

Twitter de Frédéric Bérard

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