Soutenez

Attentat de la mosquée de Québec: comment les traumas affectent les enfants et les ados?

Photo: iStock
Alexandra Matte-Landry, Université Laval - La Conversation

Cinq ans après l’attentat à la mosquée de Québec, il peut être difficile pour certains musulmans canadiens de tourner la page. La plupart n’oublieront jamais cet épisode douloureux dans leur histoire. Comment cet évènement traumatisant affecte les enfants et les adolescents qui l’ont vécu?


Il y a cinq ans, le 29 janvier 2017, six hommes sont tués par un tireur dans la grande mosquée de Québec. L’attentat a aussi fait huit blessés et laissé 17 orphelins et orphelines. Des enfants étaient également présents sur place au moment de l’évènement, au deuxième étage de la mosquée.

Comment les jeunes victimes d’un tel acte survivent-elles? Comment s’adaptent-elles après le choc et le trauma?

Un témoignage récent de deux jeunes nous en donne un aperçu. Membre et ami de la communauté musulmane de Québec, ils racontent qu’ils n’oublieront jamais. Alors que la peur qu’un tel événement se reproduise plane toujours, ils affirment garder le cap grâce au soutien et à la solidarité de la communauté.

Il est essentiel de consulter les jeunes victimes pour répondre directement aux questions précédentes. Professeure à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval et co-chercheure du Consortium canadien sur le trauma chez les enfants et les adolescents, la commémoration de l’attentat de la grande mosquée me donne cependant l’occasion d’examiner la littérature scientifique sur les traumas et la résilience.

Qu’est-ce qu’un trauma?

Un trauma est une expérience de vie très difficile (aussi appelée expérience d’adversité) qui cause une réaction physique et psychologique extrême et que plusieurs personnes ont du mal à surmonter.

Dans mes recherches, je m’intéresse davantage aux traumas interpersonnels chez les enfants et les adolescents. Ces traumas se distinguent d’autres expériences d’adversité, tels qu’un accident ou une catastrophe naturelle, parce qu’ils ont ceci de particulier: les actes sont commis (ou omis) par une ou des personnes et dirigés vers autrui, un groupe ou une communauté. L’évènement de la grande mosquée de Québec présente ainsi des caractéristiques des traumas interpersonnels puisque les actes ont été dirigés vers une communauté.

Les traumas interpersonnels peuvent être associés à une myriade de conséquences, surtout lorsqu’ils surviennent lors de périodes sensibles du développement, telles que l’enfance et l’adolescence.

Un cerveau plus sensible aux expériences vécues

On dit que l’enfance et l’adolescence sont des périodes sensibles du développement, car la plasticité cérébrale (c’est-à-dire la capacité du cerveau à se modifier) y est accrue. Le cerveau se développe et s’organise rapidement, et ce, jusqu’à l’âge d’environ 25 ans.

À la manière d’une éponge qui absorbe tout, cette plasticité cérébrale rend le cerveau plus sensible aux expériences vécues, que celles-ci soient positives (apprentissage, relations interpersonnelles bienveillantes) ou négatives, comme les traumas interpersonnels. C’est à la fois ce potentiel et cette vulnérabilité qui m’intéressent dans le développement des enfants et des adolescents qui vivent des traumas.

C’est aussi cette vulnérabilité qui contribue à ce que les traumas interpersonnels puissent induire des conséquences multiples et complexes et ce, tout au long de la vie. Il est important de savoir que celles-ci dépassent largement les symptômes classiques du trouble de stress post-traumatique (la reviviscence, l’évitement, les altérations des pensées, de l’humeur, de l’éveil et de la réactivité). Elles incluent des problèmes relationnels et d’attachement, des altérations de l’identité et de la compréhension du monde (une vision négative de soi et des autres), des symptômes physiques (maux de ventre), des difficultés dans la régulation des émotions et des comportements (peur et anxiété, colère et impulsivité), ainsi que des problèmes cognitifs et d’apprentissage (maintenir son attention et apprendre de nouvelles choses à l’école).

Bien qu’il soit possible que de telles conséquences s’observent chez les jeunes victimes de l’attentat, il faut savoir qu’il existe des différences individuelles importantes entre les jeunes. Ce ne sont pas tous ceux exposés à un trauma qui présenteront une ou plusieurs de ces conséquences.

Ce sont, entre autres, ces différences individuelles dans les trajectoires développementales des jeunes qui m’intéressent dans mes recherches : qu’est-ce qui fait en sorte qu’un jeune aura un développement et un fonctionnement adéquats en dépit de l’adversité vécue ? Bref, qu’est-ce qui explique la résilience?

Bien comprendre le processus de résilience

Face un évènement tel que celui de la grande mosquée de Québec, ou encore l’actuelle pandémie de Covid-19, le terme résilience est sur toutes les lèvres. Mais qu’en est-il exactement?

Les définitions varient, mais la résilience est généralement définie comme le processus dynamique par lequel une personne s’adapte face à l’adversité. Bien comprendre ce processus est nécessaire pour prévenir l’émergence et le maintien de difficultés d’adaptation chez les jeunes exposés à des traumas.

D’abord, on sait que plusieurs facteurs et mécanismes sont associés à la résilience. Ceux-ci peuvent opérer en amont des expériences d’adversité, afin de soutenir la résilience par la suite. Ces facteurs incluent notamment de bonnes fonctions exécutives (la capacité à s’adapter à des situations nouvelles, résoudre des problèmes complexes et réguler ses émotions et ses comportements), des relations interpersonnelles chaleureuses et bienveillantes (avec une figure parentale, un réseau de soutien) ou des stratégies d’adaptation adéquates pour faire face au stress.

Par exemple, une méta-analyse de 118 études incluant, au total, plus de 100 000 participants a montré les effets protecteurs du soutien social et des capacités de régulation chez les enfants victimes de violence interpersonnelle.

Se concentrer sur les forces et les ressources des jeunes

Les facteurs et mécanismes associés à la résilience peuvent aussi se déployer après les expériences d’adversité, afin de favoriser le rétablissement et la réadaptation. Ceux-ci comprennent, entre autres, les opportunités d’apprentissage et de guérison, possibles dans le cadre de relations interpersonnelles bienveillantes et chaleureuses, ainsi que les interventions psychosociales.

De nombreuses recherches montrent effectivement que les interventions psychosociales (par exemple, les thérapies cognitivo-comportementales ou les approches sensibles au trauma) sont associées à une diminution des symptômes post-traumatiques et à une amélioration du fonctionnement des jeunes.

Les jeunes peuvent même développer des forces, ou des habiletés qui sont utiles et adaptées en contexte d’adversité, par exemple être vigilant ou diviser son attention.

Ensemble, ces facteurs et mécanismes associés à la résilience constituent des leviers de changement pour aider les jeunes exposés à des traumas, en se concentrant sur leurs ressources et leurs forces plutôt que sur leurs difficultés.

Guérir et retrouver un sentiment de sécurité

Vivre un trauma pendant l’enfance ou l’adolescence peut avoir des conséquences multiples et complexes, mais pas toujours – il y a place pour la résilience et la guérison, surtout lorsque le jeune profite de l’effet protecteur d’une figure parentale ou d’un réseau de soutien qui contribuent à ce qu’il retrouve un sentiment de sécurité.

Même si cet aperçu de la littérature scientifique sur les traumas interpersonnels offre des pistes de réponse quant aux conséquences qu’a pu avoir l’attentat de la grande mosquée de Québec chez les jeunes victimes, elle ne peut entièrement refléter leur expérience.

Néanmoins, c’est avec ce regard sensible aux traumas que je nous invite, collectivement, à réaliser et à reconnaître les conséquences potentielles des traumas interpersonnels chez les personnes, les familles, les communautés et dans la société, mais, aussi, les possibilités de résilience et de guérison.

Alexandra Matte-Landry, Professeure adjointe en criminologie, travaillant sur l’adversité et la résilience chez les enfants et les adolescents, Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Inscrivez-vous à notre infolettre et recevez un résumé, dès 17h, de l’actualité de Montréal.

La Conversation

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.