La piñata
Lapalissade : l’histoire de l’emploi du mot en N, émanant de l’Université d’Ottawa, a fait grand bruit. Une pétarade assez extraordinaire s’étant extirpée des salles académiques jusqu’à son entrée, réciproquement spectaculaire, à même les autres sphères sociétales. Une excellente chose sur le fond, à mon sens. Parce qu’il a donné une voix à la principale intéressée, la communauté noire qui, malgré diverses dissidences (quelle communauté en est exempte ?) a ainsi pu exprimer son malaise ou ses souffrances associés au terme en question, peu importe les circonstances ou intentions réelles de son auteur. Si je demeure sceptique sur l’application in extenso d’une régulation morale semblable dans un cadre académique, reste qu’il est ardu, voire impossible, de demeurer insensible à la sincérité de ce cri du cœur.
Sur la forme, par contre, voilà où le bat blesse. Pas dans le sens de «bât», mais dans celui de BATTE. De baseball. Celui-là même utilisé, avec un élan de type Vladimir Guerrero, afin de varger sur Verushka Lieutenant-Duval, enseignante aux néo-allures de piñata collective.
-Quoi ? Une prof racissssse? Dewore!!
Badang! Crack ! (bruits de piñata en action)
-Excusez, je peux présenter ma version des faits ?
-Ta yeule…
-C’est que ce n’est pas ce qui s’est produit…
-Te yeule, on a dit. On ne jase pas avec des racisssses, nous autres.
-Mais j’ai les preuves qui appuient mes dires…
-TA YEULE !!
Bing ! Paf ! Pataclac! (Bruits de piñata en phase terminale).
C’est cette réaction, entre autres choses, qui me fit écrire une chronique intitulée «Les terroristes intellectuels», laquelle m’aura valu de charmantes épithètes du genre : Islamophobe ! Misogyne ! Racisssse! Dog whistler de la droite identitaire !
On pourrait se régaler de l’ironie de ces attaques hystérico-loufoques, lesquelles témoignent du phénomène dénoncé, mais concentrons-nous plutôt sur l’adéquation proposée : 1) tu critiques les wokes; 2) il y a, chez ceux-ci, des femmes, des musulmans et autres personnes racisées ; 3) par conséquent, t’es un sale islamophobe, misogyne et racisssse.
Alors pendant qu’on y est, et comme je soupçonne que le mouvement compte potentiellement dans ses rangs un chauve-hétéro aux prises avec l’embonpoint, je lui présente ipso facto, mes excuses.
***
La chroniqueuse Isabelle Hachey, fantastique sur le fond comme la forme, devait ce week-end révéler ce dont d’aucuns se doutaient : Lieutenant-Duval s’est fait honteusement balancer en bas du bus, et ce, sans même que l’on daigne entendre sa version des faits. La négation du principe pourtant fondamental de l’audi alteram partem, c’est-à-dire entendre l’ensemble des versions disponibles, ne peut s’expliquer que d’une seule manière : la direction de l’Université, devant le bruit et menaces émis par les terroristes-intellos, a fait dans ses culottes. Plate de même.
Bien entendu, ils nieront ad nauseam, laissant hypocritement entendre lors de convos privés que «l’on ne sait pas tout». Question, cela dit : si vous aviez réellement en votre possession quelconque preuve du racisme patent de Mme Lieutenant-Duval, pourquoi ne pas l’exhiber publiquement ? Parce que l’affaire serait trop grave ? Ah oui ? Alors pourquoi conserver celle-ci à votre emploi ? Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose, disait Voltaire…
Est-ce à dire qu’il est possible, dans un cadre universitaire, de dire n’importe quelle ânerie ? Certains plaident que oui. Moi pas. C’est d’ailleurs pourquoi je comprends, et appuie, la gronde afférente aux écrits de Philip Salzman, prof retraité émérite de McGill. Selon ce dernier, le Moyen-Orient serait «une vilaine région […], un endroit où faire le mal et être cruel est considéré comme une vertu et un devoir». Par surcroît, les multiculturalistes œuvreraient à « saper la civilisation occidentale » et, pourquoi pas, que «l’islamophobie est une invention». Juste ça.
Comme quoi Salzman revêt l’étoffe de populaires chroniqueurs, mais probablement pas celle d’universitaire. Pourquoi ? Parce qu’il est un minimum d’exiger de ces derniers qu’ils calquent leurs postures sur la science. Accepterait-on, par exemple, qu’une université conserve à son emploi un complotiste style 5G ? Un flat-earther? Alors oui à la liberté académique, au débat sensible et délicat, à la dissidence. Mais non à la connerie non-scientifique. On y trace la ligne ?