Le Montréal pas «woke» de Denis Coderre
Denis Coderre est déjà assis avec un latté à moitié bu devant lui quand j’arrive au Buona Sera, un restaurant italien de Montréal-Nord. C’est la première fois que je le rencontre et, déjà, il m’apparaît fidèle à ce qu’on m’a dit de lui: il est toujours à l’heure.
Depuis l’annonce de son retour en politique municipale, on évoque partout l’image d’un Coderre 2.0 distinct de la version trop arrogante, kid kodak et manquant d’écoute contre laquelle une majorité de Montréalais a voté en 2017. Quatre ans plus tard, plusieurs commentateurs et citoyens se posent la question en vue des élections du 7 novembre: Denis Coderre a-t-il changé?
Une chose est sûre, en tout cas, à travers sa croissance personnelle des dernières années, l’ancien maire n’est pas devenu woke – un terme qu’il associe à la compétition, sans la nommer.
Montréal est devenu trop woke à son goût. «On n’a pas un Montréal pour tous, on est dans le crois ou meurs.»
C’est woke, et l’administration en place est woke.
Denis Coderre
Si, à l’origine, le terme «woke» désigne une personne préoccupée par la justice sociale et à l’écoute des groupes minoritaires, l’adjectif est récemment devenu un terme à connotation péjorative pour évoquer des militants extrémistes.
«Il y a quelque chose d’exclusif dans le woke, trouve-t-il. Il faut être sensible aux besoins de chacun, mais quand cette sensibilité-là fait exclure d’autres personnes, j’ai un problème. Moi, je suis tanné qu’on mette l’automobile contre le vélo, qu’on mette une gang contre une autre.»
Façonné par son quartier
Denis Coderre a vécu 46 ans à Montréal-Nord. Quand on a demandé au candidat à la mairie de nous faire visiter ses coins préférés de l’île, ce quartier s’est imposé, et le restaurant Buona Sera en particulier. Dès les années 80, il en a fait son QG politique autant que son lieu de rassemblement familial.
«Le petit déjeuner, le dimanche, c’est ici que ça se passait. D’ailleurs, les bancs, qui sont magnifiques, c’est mon papa qui les a faits», m’explique-t-il fièrement.
Le politicien me parle de la géopolitique de Montréal-Nord, secteur enclavé où les habitants ont dû se retourner sur eux-mêmes et s’entraider. Il m’apprend aussi qu’autrefois, près de l’eau, «c’était des champs», et que des Montréalais du sud de la ville venaient passer leurs vacances dans leur chalet sur Gouin. Aujourd’hui, pourtant, le quartier est boudé.
Dans les quartiers centraux, il y a des gens qui vont plus souvent à Paris qu’ils vont aux extrémités de la ville.
Denis Coderre
Ce quartier l’a forgé, croit-il. Il aurait été un politicien différent s’il avait vécu à Outremont plutôt qu’à Montréal-Nord. Notre environnement nous définit, puis nos expériences de vie peuvent nous changer, selon lui.
Coderre l’Italien
Notre deuxième arrêt se trouve dans la Petite Italie, où la popularité du politicien me frappe d’un coup. Pendant que nous déambulons, des passants le saluent au coin de la rue, le hèlent depuis leur voiture pour lui souhaiter bonne chance, lui sourient pendant que nous passons devant une terrasse. La dernière fois que j’ai vu autant de têtes se retourner pendant une entrevue que je menais, j’interviewais une femme à barbe.
Denis Coderre est à l’aise et se montre chaleureux. Il parle à des gens qu’il rencontre pour la première fois comme s’il les connaissait depuis dix ans et prend le temps d’établir un contact visuel avec tout le monde.
Il sait ce qu’il fait. Après tout, il est politicien depuis la maternelle. «J’avais cinq ans quand je suis devenu président de classe!»
Il me pointe l’épicerie de la famille Gentile, où il me conseille d’aller acheter mes charcuteries. Ce qu’il aime de la Petite Italie, ce sont les commerces, les gens et les célébrations qui s’y tiennent.
Affectionne-t-il donc particulièrement la communauté italienne? Oui, mais pas uniquement. À preuve, il me mentionne son intérêt pour la communauté haïtienne et la communauté polonaise de Montréal.
«Tu sais, si tu veux faire de l’intégration, si tu veux apprendre et t’enrichir, il faut que tu connaisses l’autre et que tu fasses les pas qui vont avec.»
Quand tu développes cette sensibilité-là, c’est comme ça que le dialogue se fait et qu’à ce moment-là, on est capable de régler bien des problèmes, et de les prévenir, surtout.
Denis Coderre
Essayer de comprendre les minorités et anticiper les points de friction… Hum. Si je ne savais pas que nos définitions du mot différaient, je pourrais le qualifier de woke.
La ville avant la nation
Le Vieux-Port est notre ultime destination. On se retrouve à mi-chemin entre la nouvelle résidence du candidat, l’Hôtel de Ville, et la place Jacques-Cartier. On lui a demandé de nous montrer un lieu qu’il veut voir changer à Montréal et, après nous avoir désigné la mairie, sourire en coin, il déploie le bras vers la place Jacques-Cartier, dont il souhaite rehausser le patrimoine. C’est l’occasion de parler de nationalisme et d’identité.
«On ne définit plus le monde en termes de pays ou en termes de continents. Maintenant, c’est les villes. Donc, les gens peuvent être Montréalais avant d’être Québécois, avant d’être Canadiens.»
Ce n’est pas parce qu’on n’est pas Québécois ou qu’on n’est pas Canadiens, c’est que cette proximité nous définit.
Denis Coderre
Bien qu’il me dise à plusieurs reprises qu’il doit bientôt partir parce qu’il a rendez-vous chez Québecor, je continue de lui poser mes questions et il continue d’y répondre, si bien que sa relationniste doit finalement appeler ceux qui attendent le candidat à la mairie pour les aviser qu’il ne sera pas à l’heure pour sa prochaine entrevue.
Je le confirme donc. Denis Coderre peut changer.