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Les voix de Montréal: le quartier chinois, du ghetto au carrefour

Steven High, Fred Burrill et Jean-Philippe Warren - Université Concordia

Dans le cadre du 375e anniversaire de la Ville de Montréal, Métro s’est associé avec l’Université Concordia pour vous faire découvrir des quartiers fascinants à travers leur passé et leur présent. Ce mois-ci: le quartier chinois.

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  • Au XIXe siècle, la méfiance envers les personnes d’origine chinoise était forte au pays. Dès 1885, alors que s’achevait la construction du chemin de fer transcontinental reliant Montréal à Vancouver, le gouvernement fédéral fit voter l’Acte de l’immigration chinoise afin d’imposer une taxe d’entrée («Head Tax») aux immigrants chinois et ainsi restreindre leur présence. En 1910, une branche de la Ligue Anti-Péril Jaune fut fondée à Montréal afin de lutter contre l’immigration venue d’Asie. En 1912, à un moment où le revenu annuel par habitant tournait autour de 300$, Québec adopta une loi exigeant des propriétaires de blanchisseries d’origine chinoise de payer une taxe de 50$ en sus du coût habituel du permis d’opération de leur commerce.
  • Ces discriminations n’empêchèrent pas des citoyens d’origine chinoise de s’installer à Montréal et d’y ouvrir des blanchisseries, des cafés et des restaurants. En 1877, Jos Song Long ouvrit la première blanchisserie chinoise au coin des rues Craig (Saint-Antoine) et Jeanne-Mance. D’autres compatriotes suivirent son exemple. En 1894, selon le Montreal Gazette, il y aurait
eu 70 blanchisseries et buanderies tenues par des immigrants chinois. Ce chiffre montait à 800 en 1920. Pas moins de quatre Montréalais d’origine chinoise sur cinq étaient employés dans ces établissements. Ils s’occupaient du lavage, du nettoyage et du repassage pour les compagnies de train, les hôtels, les restaurants et les travailleurs.
  • Au début du XXe siècle, la province de Québec comptait la deuxième plus importante population d’origine chinoise au pays (un peu plus de 1000 personnes). Ostracisée, regardée avec méfiance, elle se trouvait confinée dans une petite enclave d’où elle ne pouvait que difficilement
sortir. Le «Chinatown» est né de ce racisme virulent. Quand, en 1923, le gouvernement fédéral interdit toute immigration venant de Chine, cela eut un effet direct sur les réseaux familiaux et sociaux et accentua davantage le sentiment d’isolement de la population d’origine chinoise.
  • Toujours soupçonnés de se livrer au jeu et de vendre de la drogue (dont l’opium), les Montréalais d’origine chinoise étaient vus comme des criminels et des délinquants. On demandait aux prêtres catholiques et aux pasteurs protestants de redoubler d’efforts pour les christianiser et les «civiliser». Les policiers organisaient périodiquement des descentes dans certains établissements afin de mettre un terme aux parties de mah-jong, un jeu de société traditionnel.
  • Devant compter d’abord sur leurs propres ressources, les citoyens d’origine chinoise tentèrent d’obtenir des services adaptés à leurs besoins. Ils se dotèrent rapidement d’institutions, dont la Chinese Benevolent Association, établie en 1912, et l’Hôpital chinois de Mont­réal, fondé en 1920. Dans les années 1960, le quartier chinois fut durement touché par les vastes programmes de renouveau urbain lancés par Jean Drapeau. Les agrandissements du boulevard René-Lévesque et des rues Jeanne-Mance et Saint-Urbain entraînèrent la destruction de nombreux bâtiments (écoles, églises, manufactures, appartements, épiceries). Dans les années 1970 et 1980, d’autres projets coupèrent encore davantage le quartier du reste de la ville : qu’on pense seulement à l’autoroute Ville-Marie au sud, au Complexe Desjardins et à l’édifice d’Hydro-Québec au nord, ainsi qu’au Complexe Guy-Favreau et au Palais des congrès à l’ouest. Le «Chinatown» est alors entré dans une longue période de déclin, sa population passant d’environ
3 000 habitants à seulement 441 de 1960 à 1985.

Géographie

  • Le quartier chinois
de Montréal est relativement modeste en comparaison de celui d’autres villes, dont Vancouver, Toronto et New York. Il se limite à quelques pâtés d’immeubles, entre le boulevard René-Lévesque, l’avenue Viger, le boulevard Saint-Laurent et la rue Jeanne-Mance.
  • Malgré sa petitesse, le quartier chinois est desservi par deux stations de métro: Place-d’Armes, sur la ligne orange, et Place-des-Arts, sur la ligne verte. Il représente une importante destination commerciale et touristique, attirant en moyenne 50 000 personnes par jour.

Aujourd’hui

  • Dans les années 1990, dans la foulée de la rétrocession de Hong Kong à la Chine ainsi que de la répression des manifestations de la place Tian’anmen, le Canada est devenu une destination privilégiée pour les ressortissants chinois. Bien que ces exilés aient décidé en plus grand nombre de poser leurs valises à Toronto (531 635) ou à Vancouver (411 470), plusieurs ont choisi la métropole québécoise pour refaire leur vie. Aujourd’hui, près de 100 000 Montréalais sont d’origine chinoise.Toutefois, peu d’entre
eux habitent le quartier chinois (à peine 600, soit moins de 1%). Les résidants qui s’accrochent au secteur
sont surtout des citoyens
à la retraite, des célibataires et des femmes âgées. Les plus jeunes préfèrent
s’installer ailleurs, comme
à Shaughnessy Village, Saint-Laurent ou Verdun. D’autres préfèrent aller vivre sur la Rive-Sud. En 2011, 12,2% 
de la population de Brossard était d’origine chinoise.
  • Les mouvements d’immigration renforcèrent les liens que les autorités municipales étaient en train de tisser entre Montréal et la Chine. En 1985, Shanghai
et Montréal sont devenues des villes jumelles et le futur maire de Montréal (1994-2001) Pierre Bourque en profita pour négocier avec la ville de Shanghai l’aménagement d’un splendide Jardin de Chine au Jardin botanique. C’est lui aussi qui coordonna les stratégies visant à redonner une couleur plus «authentique» au quartier chinois. Quatre arches furent érigées pour en marquer visuellement le périmètre, et une pagode fut installée au parc Sun Yat-Sen (ainsi nommé en hommage au premier président de la République de Chine). Des murales furent peintes afin de célébrer la richesse de la culture chinoise: Le roi Singe, Les sons de la musique et, tout récemment, May an Old Song Open a New World.
  • La recherche de l’authenticité n’allait pas sans une certaine folklorisation: lanternes de papier de riz, paravents peints en rouge et noir, éléments évoquant la pagode, ornementation en forme de dragons, de bouddhas et d’animaux chanceux ont toujours servi de décor à maints commerces. Depuis longtemps, les biscuits de fortune offrent des traductions édulcorées de maximes chinoises, et les menus des restaurants, des plats qui n’ont plus rien de bien traditionnel. Pourtant, malgré cette banalisation, la visite du quartier chinois demeure une expérience dépaysante pour plusieurs. On peut y trouver les fameux bubble tea et les canards laqués de Pékin, mais aussi des plantes, des herbes et des racines séchées entreposées en vrac dans des bocaux. On peut y acheter des thés odorants qui aident à la digestion, chassent le stress ou désengorgent le foie.
  • Historiquement, les Chinois qui s’installaient à Montréal venaient majoritairement du sud du pays, plus spécifiquement des provinces du Guangdong et du Guangxi, de Hong Kong et de Macao. Ils parlaient cantonais. Ils étaient donc loin de donner une image représentative de l’Empire du Milieu. Tranquillement, depuis 20 ans, le quartier chinois a pris la mesure des critiques et s’est diversifié afin de permettre à ceux et celles qui le fréquentent de se familiariser avec une large palette de la culture chinoise.
  • Aujourd’hui, le quartier regroupe 200 commerces, dont 50 restaurants. Le secteur bouillonne d’activités, surtout l’été quand la rue de la Gauchetière regorge de clients et de flâneurs. Cent quarante ans après l’ouverture de la blanchisserie de Jos Song Long, le quartier est tout le contraire d’un ghetto. Il est devenu ce qu’il aurait toujours dû être: un formidable carrefour de découvertes et de redécouvertes.

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