À grands pas
julielaferriere - Métro
Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Arrêt d’autobus de la ligne 51, au coin des avenues Laurier et du Parc, direction est. C’est vendredi, il est 15 h 45.
L’air est frais et les degrés descendent vers le froid. Il y a, à cet arrêt, un banc sur lequel est assis un petit
garçon de neuf ans. Il est avec sa mère, qui semble préoccupée. Ça fait quatre fois qu’elle replace le foulard de son petit dans un geste si doux qu’on dirait que ses bras veulent enlacer son cou comme une caresse qui resterait là pour toute la saison. Elle referme le zipper du sac à dos rouge, qui contient le nécessaire pour la fin de semaine.
Le garçon tient serré dans sa main son billet d’autobus. La mère regarde l’horizon. Pas de bus au loin.
Elle replace sa propre écharpe; se racle la gorge, replace sa coiffure, se lève et se plante bien droit devant sa progéniture, comme si elle allait lui présenter une conférence sur le boson de Higgs. «On récapitule, Julien : tu mets le billet dans la machine, tu le reprends. Tu t’assois près du chauffeur. Puis, dans cinq arrêts, c’est le métro. Et qu’est-ce qui arrive au métro?»
Le petit répète sa leçon sagement : «Je descends, et papa sera là.»
La mère semble momentanément rassurée : «C’est ça.»
Puis, de nouveau franchement inquiète : «Tu es certain que tu ne veux pas que j’y aille avec toi?»
Son petit, sous ses yeux, devient subitement grand. Il lui rappelle qu’il aura bientôt 10 ans et qu’il est parfaitement capable de réussir cette expédition urbaine sans sherpa, sans kit de survie et, surtout, sans sa mère.
Cette dernière se rassoit pour encaisser cette réalité. Elle le regarde avec ses joues roses et ses yeux brillants. Le bus arrive. Elle confie son «Jules» à contrecœur au chauffeur. S’assure qu’il y a bien une place près de lui. Qu’il est bien assis. Elle lui souhaite un beau week-end. Il lui envoie la main.
L’autobus s’éloigne. Et l’enfance aussi. À grands pas. Dans un petit sac à dos rouge.
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