100 ans pour la «prison de Bordeaux»
Réinsertion sociale, fin de la peine capitale, des agents des services correctionnels dûment formés… Le monde carcéral s’est considérablement transformé au cours du dernier siècle. L’Établissement de détention de Montréal (EDM), qui accueillait ses 100 premiers prisonniers le 18 novembre 1912, a certainement été un témoin important de cette évolution. Métro a visité le plus grand et le plus vieil établissement de détention du Québec toujours en service, communément appelé prison de Bordeaux, à l’occasion de son 100e anniversaire.
Chantal Bouchard, agente de probation pour l’EDM et instigatrice du comité organisateur de la commémoration, considère que la prison a connu une évolution qui méritait d’être soulignée. «C’est un endroit mythique, affirme-t-elle. Bordeaux, c’est un témoin privilégié des sciences carcérales, de la criminologie au Québec, de la psychologie du comportement criminel et de la réinsertion sociale.»
Inutile de dire qu’il y a 100 ans, l’approche purement punitive était plus souvent qu’autrement valorisée par les gardiens. Ceux-ci étaient souvent d’anciens militaires à la retraite, n’ayant aucune formation particulière. Mme Bouchard ajoute que l’EDM avait un côté très religieux, à l’époque. «Un criminel, c’était une brebis égarée qu’on devait ramener sur le droit chemin, explique-t-elle. Comment? En lui faisant expier ses fautes, en la faisant réfléchir.»
Évidemment, les choses ont beaucoup changé de nos jours. Le tournant a eu lieu vers le début des années 1970, selon Mme Bouchard, lorsque les professionnels, des agents des services correctionnels, ont fait leur entrée dans les établissements de détention. On privilégie désormais la réinsertion sociale, comme l’a souligné hier le ministre de la Sécurité publique du Québec, Stéphane Bergeron, lors de la cérémonie de commémoration. Une première cohorte de détenus ayant suivi une formation derrière les barreaux a d’ailleurs reçu cette année un diplôme à l’EDM.
Vous voulez dire Bordeaux?
Bien qu’elle soit connue sous ce nom, la prison située sur le boulevard Gouin n’a jamais porté le nom de «Bordeaux». Son vrai nom est en fait l’Établissement de détention de Montréal (EDM). Son sobriquet lui vient de son emplacement, voisin d’un petit village agricole du nom de Bordeaux à l’époque. On l’appelait alors la Prison de Montréal. Mais comme Montréal abritait déjà un autre établissement de détention, Au pied du Courant, l’EDM a vite été surnommé la «prison de Bordeaux».
Le parloir
Le parloir de l’EDM est au même endroit depuis la construction de la prison. Son aspect dépouillé rappelle les nombreux films se déroulant en milieu carcéral. Les prévenus (qui n’ont pas encore été jugés) et les détenus (qui ont été déclarés coupables) y reçoivent la visite de leur famille immédiate. Ils ont droit à une heure de visite, une fois par semaine pour les détenus, et deux fois par semaine pour les prévenus. Les visiteurs sont séparés de la personne incarcérée par une vitre, et tous deux doivent utiliser le téléphone pour communiquer.
Cellule
Toutes les cellules de l’aile E abritent un lit, une fenêtre, une toilette, un lavabo et une petite table de travail. Lorsque la prison était en construction, ces conditions avaient révolté une partie des citoyens, qui estimaient qu’il s’agissait d’un «confort outrancier». Il faut dire que beaucoup n’avaient pas l’électricité.
Aile E
Il s’agit d’une des dernières ailes, avec l’aile C, à ne pas avoir été rénovée depuis sa construction au siècle dernier. L’aile comporte trois étages, avec 33 cellules individuelles de chaque côté sur chacun des étages, pour un total de 198 cellules. À l’époque, cette construction représentait une révolution. L’autre établissement de détention de Montréal, la prison «Au pied du courant» abritait des dortoirs où tous les détenus dormaient.
Tour centrale
Deux gardiens sont derrière les vitres de la tour centrale pour surveiller en tout temps ce qui se passe dans les six ailes, allant de A à F. L’architecture pennsylvanienne – un style en vogue au moment de sa construction – choisie pour la construction de la prison, divise celle-ci en six branches, rappelant la forme d’une étoile. Ainsi, cela permettait au gardien de pouvoir avoir un œil sur toutes les ailes, jusqu’au fond, à partir du centre.
La potence
Il s’agit de la potence originale de 1912, qui trône toujours à l’extérieur de la prison, comme pour rappeler que, jusqu’en 1960, la peine capitale était toujours en vigueur au Québec. En dessous de la lucarne, deux petites trappes s’ouvraient sous les pieds des pendus, qui n’avaient que quelques pas à franchir avant le moment fatidique. Le dernier des 82 détenus à être exécutés sur cette potence fut Ernest Côté, le 11 mars 1960. Il avait fait un long plaidoyer contre la peine de mort, la corde au cou. Il ne savait pas, alors, qu’il allait être le dernier à être exécuté au Québec.