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Négociations

On sent que le hockeyeur est impatient de se lancer sur la glace; il s’est levé, anticipant bien à l’avance son arrêt. Photo: Pierre Brassard | www.pierrrebrassard.com

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Autobus 80, direction sud. Nous sommes dimanche et il est 13 h 50.

Une image d’Épinal : un paysage d’hiver parfait avec une lourde neige immaculée déposée paresseusement sur les arbres, un ciel bleu Schtroumpf et le mont Royal qui se donne des airs de station de sports alpins. J’exagère un peu, car notre montagne n’a pas la stature des Alpes, mais c’est quand même une montagne. Et c’est LA NÔTRE!

De l’autre côté de l’avenue, on peut voir dans le parc que les courts de tennis ainsi que les terrains de foot et de volley sont en vacances. Mais les patinoires, elles, sont débordées, accueillant en ses bandes les joueurs de hockey du dimanche.

Mon voisin de banquette est l’un d’eux. Il a la quarantaine et est muni d’une poche tellement énorme qu’elle pourrait contenir, en plus de son équipement, un poêle et un frigo.

On sent que le hockeyeur est impatient de se lancer sur la glace; il s’est levé, anticipant bien à l’avance son arrêt. Il tend le cou, cherchant des yeux ses coéquipiers qui, déjà, au loin, s’échangent la rondelle.

Son désir d’être là, avec eux, est papable. Il trépigne sur place. Comme si l’autobus n’était pas assez vite sur ses patins, comme si le temps s’étirait inutilement entre lui et l’aire de glace. Exactement comme pour un enfant en voiture qui, dans sa hâte d’arriver, demanderait cent fois à ses parents : «Quand est-ce qu’on arrive?!»

Je suis certaine que, s’il le pouvait, c’est ce que demanderait cet homme au chauffeur, vu son état d’esprit actuel, celui d’un p’tit gars qui s’en va jouer avec ses amis dans la ruelle, à l’aréna ou au parc. Je l’imagine très bien, petit, en été, avec un bobo sur son genou droit ou, en hiver, une prune sur le front pour avoir refusé de mettre son masque.

Arrive enfin l’arrêt.

Arrive enfin ce moment où, durant tout un après-midi, cet homme aura encore 12 ans.

Trop souvent, on s’interdit d’être à nouveau cette petite personne que nous fûmes. Comme si les adultes que nous sommes devenus faisaient la grève de l’enfance.

Mais voir cet homme rappelle franchement que, pour régler ce conflit, il n’en tient qu’à nous de négocier… avec nous-même.

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