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Garbage Beauty: l’âme des meubles abandonnés

Photo: Josie Desmarais/Métro

Les habitants du Plateau Mont-Royal et d’Hochelaga-Maisonneuve commencent à reconnaître ces interventions artistiques qui ponctuent leurs ruelles et leurs trottoirs. De courts messages dessinés sur des meubles mis à la rue parsèment leur arrondissement. C’est l’œuvre des quatre membres de Garbage Beauty qui, depuis deux ans, arpentent les rues de Montréal pour dénicher des meubles rejetés par leur propriétaire. Étienne, Olivier, Romain et Vincent pratiquent l’art de la calligraphie en écrivant de brèves phrases ludiques et poétiques sur les rebuts défraîchis. Métro a cherché à décortiquer l’univers de ces quatre artistes de la lettre, qui tentent de rester anonymes.

«Ce qu’on veut, c’est faire sourire les gens», explique Olivier, sur le coin d’une rue du Plateau Mont-Royal. C’était une de ces journées d’automne où le vent souffle aussi fort que les tempêtes en hiver; rien pour arrêter les quatre membres de Garbage Beauty en quête du rebut parfait pour y écrire leurs pensées.

Quelques minutes plus tard, dans une ruelle près de la rue Gilford, Vincent repère la perle rare : un vieux tourne-disque défraîchi laissé au coin de la rue. Ils jubilent. «Les meubles IKEA, maintenant, on les ignore. Au début on prenait tout, mais on s’est rendu compte que ça n’a rien à dire. On cherche quelque chose qui a du cran, qui a du vécu», explique Olivier.

Romain sort ses feutres et s’élance. L’idée lui vient immédiatement en tête, comme un coup de cœur. Sur la couverture, au feutre blanc, il écrit «Ne me quitte pas, il faut oublier», en référence à l’aspect antique de l’objet. Penché sur le tourne-disque, minutieux, il laisse glisser son crayon avec délicatesse et fluidité, comme un artiste sur sa toile. «Normalement, il faut plus de temps pour trouver ce qu’on écrira. C’est toujours un amalgame entre l’objet, le contexte et l’endroit où il se trouve qui nous donne l’idée», affirme Olivier, qui admet que leurs messages sont d’abord des jeux de mots drôles, positifs, ludiques, et des réflexions poétiques.

«Ce n’est pas choquant ni moralisateur. C’est toujours positif, jamais politique» ajoute Vincent, convaincu que ce type de message représente l’avenir du street art. Les gens sont tannés d’entendre parler des sujets lourds et des revendications.»

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Si on place l’objet sur le coin de la rue, déjà, les passants commencent à tourner le regard vers lui, intrigués par le message. C’est là une des premières intentions de Garbage Beauty, selon les quatre jeunes hommes issus de la culture du tag : surprendre pour accorder une petite pause cérébrale aux citoyens «submergés par la publicité tous les jours». «Montréal devrait continuer de surprendre!» lance Vincent, qui estime que la beauté d’une ville se trouve dans sa diversité, son aspect hétérogène et inattendu. Nous, on rajoute des détails à Montréal, et ça l’embellit.»

Plus loin dans les rues du Plateau, alors qu’ils travaillent sur une commode brune et verte laissée dans la ruelle, les jeunes hommes sont interpellés par une jeune résidante du coin venue déposer ses déchets sur le coin de la rue. «C’est donc vous ! J’ai vu quelques-unes de vos œuvres dans le quartier dernièrement. Je me demandais justement qui était derrière tout ça!» s’exclame-t-elle, heureuse de voir ces petits messages dans son environnement.

Le propriétaire de la commode, un homme d’une cinquantaine d’années portant une chemise de bûcheron, la rejoindra peu de temps après. Sourire en coin, il observe, avec un regard satisfait, ce qu’est devenu son vieux meuble après le passage de Garbage Beauty.

Une belle démonstration de la diversité de leur public, soutient Romain : «On rejoint toutes les catégories d’âge. Les jeunes de notre âge sont charmés par l’intervention en soi, la démarche, tandis que la génération plus vieille est interpellée par la qualité physique de l’écriture.»

Pour ces quatre graphistes qui travaillent pour la plupart en publicité, toutes les possibilités offertes par les objets de la rue sont d’une rare richesse. «On divertit les gens, parce qu’il n’y a personne derrière nous qui nous dit quoi dire, on est libres», affirme Olivier, heureux de se défaire des nombreuses contraintes techniques que lui impose son milieu de travail. «Ce qu’on fait, c’est une peu comme de la publicité, sauf qu’on ne vend rien», précise Vincent. «On vent du rire et un sourire, c’est tout», complète Olivier.

Montréal hétérogène
Pour Garbage Beauty, qui se donne pour but d’embellir Montréal grâce à de petits détails trouvés sur le coin d’une rue, l’image de la métropole est d’une grande importance. Ces quatre techniciens de l’image ont souvent réfléchi à la transformation des quartiers les plus fades de la ville au cours de leurs escapades artistiques. «Actuellement, il y a une course à la normalisation. On devient une métropole comme les autres, parce que Montréal se calque sur la saveur actuelle, sur les normes architecturales», regrette Romain.

S’ils avaient à revitaliser un quartier comme le centre-sud, où se trouve la vieille usine Farine Five Roses, ils trouveraient primordial de rejeter les pâtés de maisons tous identiques. «Quand c’est trop propre, ce n’est pas beau. Ça prend un minimum de chaos, de surprise. Il faut qu’il y ait de l’inattendu», précise Vincent, qui regrette l’uniformisation de Montréal.

Des quartiers comme le Plateau ou Saint-Henri font partie de leurs secteurs modèles en raison de la diversité de leur paysage. C’est ce qui, selon eux, incite les résidants à s’y promener et, au final, à apprécier leur quartier et leur ville.

«Évident que tu ne peux pas apprécier ton environnement extérieur quand tu es en voiture. Pour l’apprécier, il faut passer par des endroits plus pédestres ou s’y promener en vélo, par exemple, souligne Vincent. Montréal est une belle ville, il faut juste lever la tête.»

Les citoyens étant au coeur de Montréal, les quatre calligraphes de Garbage Beauty les invite à prendre le temps de découvrir leur ville pour ainsi y découvrir toute sa beauté.

«La calligraphie étant un art majeur, ça te prend du temps à te développer et à l’exécuter. Alors je pense que pour rendre une ville plus belle, c’est la même logique : c’est de prendre le temps de vivre et de prendre son temps.», explique Romain.

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