L’aquarium
Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.
Autobus, ligne 80, direction nord. Nous sommes jeudi, il est 17h20.
C’est l’heure de pointe. Le bus est plein à craquer. On est tous trop habillés. Il fait super chaud et, avec les facteurs Humidex et humain, c’est plus chaud encore! Ceux qui ont les cheveux plats se mettent soudainement à friser. On se croirait dans une étuveuse.
La buée qui s’est formée sur les vitres du bus nous fait sentir comme des poissons dans un aquarium aux vitres souillées d’algues.
Un homme, debout tout à côté de moi, essaie de dégager un bout de vision en traçant un rond dans une des fenêtres. Il crée un hublot par lequel on peut voir un peu de clarté printanière. C’est alors que ce même homme, qui tient un grand sac de plastique, échappe ce dernier qui s’ouvre sur le sol. Je peux en voir le contenu et j’ai peine à retenir un petit cri de surprise.
Dans ce sac s’en trouve un autre, fermé hermétiquement puisqu’il contient de l’eau. Dans cette eau nage un poisson imposant. Disons de la taille d’un chat. Pas d’un poisson-chat: d’un gros matou. Et sur son dos: un aileron.
C’est complètement fou! Cet homme transporte un bébé requin en pleine heure de pointe, comme si c’était une chose aussi banale que de mâcher de la gomme. Et parlant de mâcher, je suis pétrifiée devant la bestiole, car j’ai vu Jaws à l’âge de 10 ans et suis restée marquée par ses mâchoires impossibles.
Je suis tétanisée et complètement obnubilée par la bête. L’homme reprend son sac doucement. Devant mon air de fouine affolée, il lève le sac transparent avec un air un tantinet sadique, à la hauteur de mon regard.
Je ne suis maintenant plus la seule à être témoin de ce spectacle aquatique. Et de toute évidence, à en juger par les cris de panique qui se sont élevés d’un coup, je ne suis pas l’unique passagère à avoir vu Les dents de la mer.
L’autobus s’est vidé à l’arrêt suivant, où nous sommes presque tous descendus en courant. L’homme, lui, est resté à bord. Et, par le hublot de cet aquarium ambulant, on a pu voir le requin, dans son sac d’eau, nous crier en souriant de toutes ses dents: POISSON D’AVRIL!!!