Des tests inéquitables pour les Autochtones?
OTTAWA — La Cour suprême du Canada conclut que le Service correctionnel ne s’est pas assuré que ses outils d’évaluation psychologique des détenus soient équitables pour les Autochtones.
Dans un arrêt majoritaire (7-2) qui pourrait ouvrir la voie à un examen en profondeur des procédures, le plus haut tribunal du pays s’est rangé à l’avis de Jeffrey Ewert, qui contestait cinq outils d’évaluation utilisés par le Service correctionnel du Canada pour évaluer le risque de récidive et le potentiel de violence des détenus.
Concrètement, cet arrêt signifie que le Service correctionnel devra revoir ces outils afin de s’assurer qu’ils ne soient pas biaisés par des préjugés culturels, sans quoi les autorités carcérales devront cesser d’utiliser ces tests psychologiques et ces évaluations du risque.
«Pour que le système correctionnel, comme l’ensemble du système pénal, fonctionne de manière équitable et efficace, ses administrateurs doivent cesser de présumer que tous les délinquants peuvent être traités équitablement en étant traités de la même façon», lit-on dans le jugement majoritaire.
La Cour suprême se prononce alors que le gouvernement libéral examine la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral canadien. En 2015-2016, les délinquants autochtones représentaient près du quart de la population totale de délinquants sous responsabilité fédérale — soit beaucoup plus que leur représentation démographique. Par ailleurs, un rapport du gouvernement notait que les délinquants autochtones bénéficient moins souvent d’une remise en liberté progressive que les délinquants allochtones.
Jeffrey Ewert, qui s’identifie comme Métis, avait plaidé devant les tribunaux que les techniques d’évaluation du Service correctionnel n’étaient pas fiables pour les détenus autochtones, parce qu’elles avaient été conçues et testées sur des sujets à prédominance allochtone. Il a donc soutenu que le recours à ces outils violait la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui oblige les autorités carcérales à «veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets».
M. Ewert, âgé de 56 ans, a également soutenu que l’utilisation de ces outils violait ses droits à l’égalité et à la liberté, garantis par la Constitution.
Une famille adoptive instable
Né d’une mère métisse et d’un père britannique, M. Ewert avait été adopté, bébé, par une famille caucasienne de Surrey, en Colombie-Britannique. Les documents de la cour décrivent son père adoptif comme un alcoolique, et sa mère adoptive comme psychologiquement instable et violente. M. Ewert a été l’objet de racisme et de discrimination à la fois à la maison et à l’école.
Condamné à deux peines concurrentes de prison à vie pour meurtre au deuxième degré, tentative de meurtre et évasion, il a passé plus de 30 ans dans des établissements à sécurité maximale et moyenne. Admissible à une libération conditionnelle de jour en 1996, et à la libération conditionnelle totale trois ans plus tard, il avait toutefois renoncé à son droit à une audience.
Un juge de la Cour fédérale a d’abord conclu que le Service correctionnel avait enfreint la loi et la Charte canadienne des droits et libertés, mais cette décision a été annulée plus tard en Cour d’appel fédérale.
Dans son arrêt, la Cour suprême ne conclut pas que les droits constitutionnels de M. Ewert ont été violés. Le plus haut tribunal conclut toutefois qu’«en faisant fi de la possibilité que ces outils (d’évaluation) désavantagent systématiquement les délinquants autochtones, et en omettant de prendre des mesures pour faire en sorte qu’ils génèrent des renseignements exacts», le Service correctionnel «a manqué à l’obligation qui lui incombe» en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
Le tribunal décrète que si le Service correctionnel souhaite continuer à utiliser ces outils, il devra mener des recherches afin de déterminer si, et dans quelle mesure, ces tests peuvent s’appliquer différemment aux délinquants autochtones. Le service pourra alors, au besoin, modifier ces outils, ou cesser de les utiliser pour des détenus autochtones.