Faire les innocents
L’horreur. Six jours en dedans, traité comme on l’imagine. Tombent simultanément les accusations de tentative de meurtre sur un agent de la paix.
Impossible de ne pas se transposer dans la peau de ce doctorant, chargé de laboratoire à la Polytechnique, amoureux, bientôt père, vie rangée, tranquille à souhait. Impossible de ne pas subir, par procuration, ses angoisses.
Celles d’un innocent normalement constitué qui, on le serait à moins, sait trop bien que les circonstances jouent contre lui.
Que l’émotivité, mauvaise conseillère, galvanisera de nouvelles réactions intempestives d’un système ébranlé par l’agression d’un des leurs.
Que le classique « ça prend un coupable » risque de l’envoyer au purgatoire à perpétuité, peine d’ordinaire applicable en la matière.
Il revoit en boucle les événements. Une interpellation policière de routine, banale chez les membres des communautés visibles, virant cette fois à la catastrophe. Assistant impuissant à la scène, il téléphone au 911. Quel coupable demeurerait ainsi sur les lieux? Où se trouve le gun du policier? Pas sur lui, du moins. Idem quant à l’absence de poudre à canon sur sa personne. Il clame, ces deux faits à l’appui, son innocence. Basta.
Du fond de sa cellule, il pense à son doctorat à obtenir, à sa carrière (jadis) prometteuse. Surtout, il rêve à sa conjointe, à ses jumeaux à naître. Que penseront-ils de leur père? À un innocent injustement condamné? À un salopard ayant tenté d’enlever la vie à un policier?
Si l’on se fie à l’opprobre populaire, alimenté par des médias sociaux et traditionnels déjà en feu, sérieuse longueur d’avance pour la deuxième option.
Joindra-t-il les rangs dont la vie sacrifiée pourra, un jour, faire l’objet d’un film Netflix? How to Make a Murderer, sauce Parc-Extension?
Il apprend qu’une vidéo, tournée mécaniquement par le ministère des Transports, est disponible. Victoire! In libro veritas! Jusqu’à ce qu’on lui apprenne que malgré celle-ci, le DPCP déposera néanmoins les accusations mortifères, si ce n’est déjà fait.
-Mais c’est impossible!! Ce n’est pas moi!! J’ai vu l’agression et son responsable! J’ai même appelé le 911!
-Ta gueule. Notre enquêteur n’a pas vu d’autre agresseur.
-Mais c’est impossible!
-Ta gueule, enfoiré.
***
Camara disait pourtant juste. La vidéo, analysée in extremis par d’autres enquêteurs, témoigne de son innocence. Le DPCP plie bagage. Il est libéré, mais son identité est maintenant connue de tous. Au contraire de celle du premier enquêteur qui, en « analysant » la vidéo du MTQ, regardait possiblement le match du CH en simultané, smoked meat en main, texto dans l’autre : « Hey, what’s up, euh’l’gros? ».
Tout est bien qui finit bien? Façon de parler.
En conférence de presse, le ministre de la Justice, Jolin-Barrette, déclare que le SPVM et le DPCP « ont fait leur travail ». Un peu plus et il les félicitait, de dire Antoine Robitaille.
Les preuves du manque d’empathie du ministre étant légion, d’aucuns penseront que François Legault, au-delà des airs voulus de bienveillance endosse, hors les caméras, la même froideur inhumaniste. Craindrait-il, en l’espèce, les prochains spasmes des griefs afférents au racisme systémique, concept obstinément refusé par son gouvernement? Jolin-Barrette à titre d’utile paravent? Certains, ici encore, finiront par le croire.
La palme des plus belles âneries revient toutefois, en double, au chef du SPVM qui affirme 1) qu’il ne s’agit pas de profilage racial, mais bien…d’enquête criminelle. Ben cou’donc. Comme si une enquête du type ne pouvait être provoquée par ce même profilage; 2) que l’affaire Camara se veut d’une incroyable complexité. Re-ben cou’donc. Genre autant que de distinguer un sans-abri d’un conducteur de BMW, sauce couvre-feu?