Récit d’une Fugueuse
Fiction basée sur des faits réels, Fugueuse explore la mécanique du recrutement, les répercussions sur une famille et les innombrables cicatrices de l’exploitation sexuelle des adolescentes.
Une jeune fille évolue dans une banlieue tranquille, au sein d’une gentille famille. Elle est amoureuse d’un garçon, amoureuse de la danse. Elle est curieuse, énergique, pleine d’idées. Mais elle commence à croire que ses parents se mettent un peu trop en travers de ses projets en lui demandant d’être «plus responsable», «plus adulte», d’économiser ses sous. Elle commence à croire que ses parents ne comprennent «fucking rien».
Puis, par hasard (pense-t-elle), elle tombe sur une inconnue qui semble comprendre «fucking tout». Et sur un garçon qui le lui promet, ce tout, qui le lui donne. Pour l’instant.
Après avoir dépeint les conséquences de l’alcool au volant dans Pour Sarah, succès de TVA, l’auteure Michelle Allen, le réalisateur Éric Tessier et la boîte de prod Encore Télévision ont refait équipe. Et, une fois de plus, ils proposent une fiction à visée «éducative». Sur le sujet de l’exploitation sexuelle.
La scénariste qui a, entre autres, signé Destinées et Vertige affirme qu’un «super travail de recherche» a précédé l’écriture. Que des travailleurs sociaux et des policiers du SPVM lui ont permis de mieux comprendre. Notamment que «lorsqu’un gars décide qu’exploiter une fille, c’est une façon rentable de faire de l’argent facile, bien plus rentable que vendre de la drogue», on appelle ça «un crime d’opportunité».
C’est Ludivine Reding, 20 ans, qui joue ici Fanny, 16 ans, victime d’un tel crime. Auparavant, on a vu l’actrice au petit écran dans Tactik et dans La théorie du K.O. Elle a également doublé plusieurs films, s’occupant souvent de la voix de Chloë Grace-Moretz.
Dans les deux premiers épisodes que nous avons pu visionner mardi, la jeune femme est d’une grande précision, transmettant l’énergie qui guide son personnage, son désir que «quelque chose se passe», sillonnant sur son vélo, casque sur la tête et cell à l’oreille, les rues de son quartier résidentiel.
C’est toutefois sur la rue Sainte-Catherine, coin Stanley, devant un simple magasin de lingerie et ses affiches «sexy», de nuit, que débute la série. Dans la lumière des gyrophares de police et des néons des boutiques.
Les contrastes sont d’ailleurs omniprésents entre la tranquillité du premier lieu et le côté nocturne du second. On se retrouve dans un club de la rue Mackay, puis dans un immense loft avec vue sur le centre-ville. À ce sujet, Michelle Allen dit avoir voulu sortir des clichés, «les centres jeunesse, la mauvaise famille, les gangs de rue».
L’adolescente qui fugue dans son récit est juste un peu rebelle, mais pas trop. Elle se fait d’abord attirer dans un univers qu’elle ne connaît pas par une femme qui la complimente sur son vernis à ongles. Puis sur ses vêtements. «C’est beau, ta robe.» «C’est malade, ton collier.»
La dernière phrase, c’est le type dont elle tombera amoureuse qui la prononce. Un rappeur charmeur qui aimerait vraiment, vraiment la voir danser dans son nouveau vidéoclip. Mais avant, il lui offre des verres. Et plein de beaux vêtements, achetés à la boutique de Denis Gagnon. «Wow, je me sens comme Kim Kardashian!»
Dans le rôle de ce gars louche mais ô combien charismatique, les fidèles des Dead Obies auront la surprise de voir Jean-François Ruel, alias Yes Mccan. Le rappeur est d’un immense naturel («Il a du swag!» comme dit Éric Tessier). Il parvient à traduire les zones d’ombre de son personnage, avec son air assuré, sa dégaine «tout est sous contrôle, relaxe». Ouvrant des bouteilles de champagne en criant «Pop it up!» ou se retrouvant en studio et, en faisant écouter un beat, précisant: «Là, j’avais le goût d’avoir une vibe un peu plus “bassin”.»
Il était d’ailleurs important pour le réalisateur que cet homme ne soit pas dépeint comme un archétype de l’obscur. «Ce n’est pas Darth Vader. Il ne se lève pas le matin en se disant: “Je vais faire le mal.”»
Il ajoute: «Dans cette série, on essaie de comprendre le phénomène de l’exploitation sexuelle. Ce n’est pas juste dur pour être dur. Il y aura quelque chose à retirer de tout ça.»
Notamment, croit Michelle Allen, pour les parents d’adolescentes qui vivent de tels problèmes. «Il n’y a pas de recette, fait remarquer la scénariste. Ne les culpabilisons pas en disant: “Vous avez mal fait votre job de parents!” Ils se débattent comme ils peuvent.»
Notons ici que, dans cette fiction, c’est Lynda Johnson qui incarne la mère aimante, ne sachant pas comment faire face aux changements de comportement de sa fille. Et Claude Legault joue le père strict mais dépassé par les événements. Tous deux sont excellents.
Soulignons enfin que la direction photo est signée Pierre Gill, arrivé sur le plateau de Fugueuse tout droit de celui de Blade Runner 2049. Ça vous donne une idée de la qualité des images.
Fugueuse, qui compte 10 épisodes d’une durée d’une heure, sera diffusée à compter du lundi 8 janvier à 21h sur les ondes de TVA.