JFK au-delà du mythe
JFK s’arrête à Montréal dans une mise en scène qui promet de briser la représentation conventionnelle qu’on se fait du plus célèbre couple présidentiel américain et de l’opéra. Au menu : sexe, drogue et vibrato.
C’est à certains des plus grands mythes de l’imaginaire américain que l’opéra JFK s’attaque : celui du couple présidentiel impeccable, de la Jackie tout sourire en tailleur Chanel et du John héroïque, fauché en pleine gloire par les balles de Lee Harvey Oswald le 22 novembre 1963, à Dallas.
«Leur représentation sur scène n’est définitivement pas celle diffusée par les médias, celle d’une espèce de famille royale américaine», assure la mezzo-soprano Daniela Mack, qui se glisse dans la peau de Jackie.
«David (Little, le compositeur) et Roy (Vavrek, le librettiste) ont créé un monde qui est bien loin du biopic. Dès le départ, on les voit sous un jour inédit, dans leur intimité, sans souci du regard extérieur. C’est une représentation beaucoup moins glamour que ce à quoi on est habituée, mais certainement plus humaine.»
Car même si la mort tragique du 35e président américain plane sur l’ensemble, c’est avant tout sur la relation entre Jackie et John F. Kennedy, et les dernières heures qu’ils ont passé ensemble, que porte le spectacle.
«Tout le monde sait comment l’histoire s’est terminée, n’en parlons pas. Parlons plutôt de
ce qui est arrivé avant.» – Matthew Worth, interprète de John F. Kennedy
L’opéra s’amorce dans une chambre d’hôtel, la veille de l’assassinat. John est dans son bain, écrasé par les pressions politiques et ses douleurs chroniques au dos, tandis que Jackie fume et boit pour oublier tous les drames qui l’accablent : ses deux enfants mort-nés, les infidélités de son mari, le poids du regard public.
«Tout est en place pour une tragédie», expose le baryton Matthew Worth, interprète de JFK.
À la veille du jour fatidique, ces deux êtres blessés tentent comme ils peuvent d’échapper aux douleurs de leurs vies et demeurent malgré tout liés par «l’amour, l’engagement et l’espoir».
La morphine prise par John pour soulager ses maux dans le premier acte l’entraîne dans une série d’hallucinations où il croise les personnages qui ont façonné son parcours : l’extravagant vice-président Lyndon B. Johnson (qui, avis aux intéressé(e)s, finira en caleçon), Rosemary Kennedy, mouton noir de la famille (lobotomisée parce qu’on la trouvait trop lubrique) ou le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev (rencontré sur la Lune!). Tout cela avant de retourner aux sources du drame : le premier tête à tête du couple.
«Ce n’est pas le genre d’œuvre qu’on peut faire entrer dans une boîte. C’est un rêve où on peut faire tout ce qu’on veut», résume Daniela Mack.
«Il y a deux chemins qu’on a voulu emprunter, explique le metteur en scène et concepteur des décors Thaddeus Strassberger. Premièrement, la voie documentaire, qui relate la nuit avant la mort de JFK. Cet aspect est extrêmement bien documenté et reproduit à l’identique sur scène. On sait exactement à quoi ressemblaient leur chambre d’hôtel, son décor, les vêtements qu’ils portaient. Et puis il y a la voie poétique, cosmique et mystérieuse. L’opéra n’est pas un documentaire sur John et Jackie, mais sur le paysage émotionnel dans lequel ils vivaient à la fin de leur vie.»
Créé en 2016 à Fort Worth, là où le couple a passé sa dernière nuit, JFK fait partie du répertoire contemporain mis de l’avant depuis quelques années par l’Opéra de Montréal, au risque de choquer les traditionalistes.
«Les puristes réagissent, évidemment, mais ç’a toujours été le cas, expose Matthew Worth, qui, en plus de sa carrière de chanteur, complète un doctorat sur l’histoire de l’art lyrique.
«L’histoire de l’opéra est remplie de ces critiques qui clament : cette nouvelle musique est horrible! poursuit-il en riant. Le progrès se fait souvent lentement, et ce, dans toutes les sphères de la vie. Ceux qui veulent continuer à n’écouter que Madame Butterfly, Le mariage de Figaro ou Tosca peuvent continuer à le faire. Et tant mieux, parce que ce sont des œuvres exceptionnelles. Mais il y a autre chose aussi.»
Ces créations, ces «futurs classiques» en quelque sorte, ont aussi leur avantage pour les interprètes.
«Mon répertoire est très classique : Mozart, Rossini, Handel. Je ne peux évidemment pas dialoguer avec eux. C’est la première fois que je participe à une création, et c’est une chance inouïe de pouvoir parler avec les créateurs, de comprendre leur vision», fait remarquer Daniela Mack.
«C’est un cadeau qu’on nous fait, une occasion d’apposer notre marque sur une nouvelle œuvre, poursuit son compagnon sur scène. On a la chance de faire ce qu’on veut, sans idées préconçues sur ce que l’opéra devrait être ou non.»
Et n’est-ce pas le moyen tant recherché par les opéras du monde entier pour intéresser de nouveaux spectateurs?
«Intrinsèquement, l’opéra ne fait pas de discrimination. Tout le monde peut être touché par la musique. Notre responsabilité est d’utiliser les outils que nous avons en main aujourd’hui, la technologie, la mise en scène, pour susciter l’intérêt du public», juge Daniela Mack.
«JFK va inévitablement attirer de nouveaux spectateurs à l’opéra en raison de son sujet. J’espère que ça va démontrer que l’opéra est encore accessible, comme il l’a toujours été, tranche de son côté Matthew Worth. L’opéra a toujours évolué et il y aura toujours de nouvelles histoires à raconter. La capacité de la voix à toucher l’âme humaine et à transmettre des émotions profondes n’a aucun équivalent dans le monde de l’art.»
JFK
À la Place-des-Arts