Roland Smith: une vie de cinéma
Qui n’a pas, à un moment ou à un autre de sa vie, été profondément touché, bouleversé, renversé par un film? Le genre d’œuvre qui laisse une trace indélébile, et qui marque un «avant» et un «après». C’est pour faire vivre ce type d’expérience que Roland Smith, irremplaçable programmateur et cinéphile infatigable, transmet son amour du Cinéma (avec un grand C) depuis 55 ans déjà. Il récidive au Théâtre Outremont cet été avec la série «Les films de notre vie».
Ne cherchez pas Roland Smith dans les rues ou les parcs de Montréal en ce mois d’août. C’est dans la pénombre d’une salle de cinéma du Théâtre Outremont que vous avez le plus de chance de le trouver. C’est là qu’il présente pour une deuxième année la série de projections «Les films de notre vie».
Contrairement à l’été dernier, le programmateur et distributeur a invité une vingtaine de personnalités du milieu du cinéma (réalisateurs, comédiens, critiques, etc.) à partager leurs coups de cœur, en plus de présenter quelques-uns de ses films préférés.
La sélection, totalisant une quarantaine de longs métrages, est remplie de «films qu’on n’a pas la chance de voir dans les réseaux Netflix et compagnie», souligne-t-il.
On y trouve des classiques du septième art comme Les 400 coups (François Truffaut), Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda) et Les ordres (Michel Brault), de même que des «perles», comme Hunger (Steve McQueen), film qui a révélé au grand public le talent d’acteur de Michael Fassbender, star de la série X-Men.
Le tout forme un ensemble éclectique et surprenant. Ainsi, Ségolène Roederer, directrice générale de Québec Cinéma est sortie de son créneau habituel en choisissant de présenter Pulp Fiction, de Quentin Tarantino. «Ça va être intéressant de voir ce qu’elle a à dire sur ce film!» s’enthousiasme Roland Smith.
«Qui aurait dit que Denis Bouchard préfère Le parrain et que Gilbert Sicotte aime Apcalypse Now!» poursuit le cinéphile aguerri attablé dans un café du centre commercial qui abrite le Cinéma du Parc, où se trouve son bureau.
Si Roland Smith, qui a vu des milliers de films – «Un moment donné, je voyais 15 films par semaine!», dit-il – ne pouvait en choisir qu’un seul, «le film de sa vie», ce serait lequel? «Citizen Kane d’Orson Welles, qui est selon moi un film qui a révolutionné le monde du cinéma», répond-il sans hésitation.
Ce film, il a dû le visionner une trentaine de fois, confie-t-il. «Moi, je préfère voir un film que j’ai déjà vu et que j’ai beaucoup aimé. La vie est courte, vous savez», lance l’homme de 75 ans.
D’où l’idée de présenter sur grand écran des classiques du septième art. Sans surprise, Roland Smith prévient qu’il sera assis dans les salles, aux côtés des spectateurs, à la plupart des projections. «Vous vous en doutiez?» lance-t-il, ricaneur, devant notre absence d’étonnement.
«Au cinéma, il y a un grand écran devant nous, on ne fait pas de bruit. C’est comme un service religieux. C’est, pour moi, l’ultime satisfaction de voir un film en salle.» – Roland Smith
Roland Smith n’a rien contre les plateformes de visionnement en ligne, qui permettent à tout un chacun de vivre sa cinéphilie dans le confort de ses pantoufles. «Je connais plein de gens qui sont malades, ou qui ont des enfants, et qui ne peuvent pas sortir de chez eux. Du moment qu’ils regardent des films, c’est ça qui est important.»
Mais rien ne remplace l’expérience d’un film en salle, assure-t-il. «Quand on se déplace de chez soi, on fait le vide autour de soi. On ne pense à rien d’autre…»
Un oiseau rare
Malgré son travail dans l’ombre, derrière les projecteurs, Roland Smith est devenu avec les années une personnalité incontournable du milieu du cinéma québécois.
Il faut voir l’ex-gérant du Cinéma du Parc, vêtu d’un t-shirt rouge vif et de bretelles, s’y promener comme si c’était sa deuxième maison. Ici, il donne une consigne à un employé; là, il remet en ordre les présentoirs et les brochures sur une table. Tout le monde le connaît dans l’établissement.
Depuis le 14 juillet 1963, date précise du début de sa carrière, Roland Smith a eu un impact incommensurable sur des générations de cinéphiles, notamment en étant à la barre de plusieurs salles de cinéma montréalaises, de clubs vidéo et de festivals.
En 55 ans de métier, il en a vu «de toutes les couleurs!» déclare-t-il, des étincelles dans les yeux. Il a notamment assisté à l’édition historique du Festival de Cannes en plein Mai 68, il y a 50 ans. On pourrait croire qu’il a tout vu et tout fait. Mais lorsqu’on lui demande ce qu’il lui reste, justement, à voir et à faire, Roland Smith s’emballe. «J’aime les cinémas américain et français des années 1940 à 1960. Je trouve malheureux qu’on ne présente pas plus de copies restaurées de cette époque, dit-il.
Et en région, c’est très difficile de présenter autre chose que de la nouveauté clinquante. J’ai peine à penser que les gens de l’extérieur de Montréal, surtout les jeunes, n’ont pas la chance de revoir les classiques d’autrefois. Ce serait intéressant de les faire circuler, mais ce n’est pas la volonté des propriétaires de salles, qui préfèrent présenter des blockbusters américains», se désole-t-il.
Son regard lumineux s’assombrit soudainement. C’est que le distributeur se bat depuis des décennies contre les grands studios, qui «contrôlent la présentation dans les salles du Québec et d’Amérique du Nord».
«Il n’y a aucune recherche, on n’essaie pas de satisfaire le goût des Québécois, déplore-t-il. Moi, ce que j’ai essayé de faire, c’est tout le contraire. C’est d’aller un peu partout dans le monde, de visionner des films dans les festivals – je suis allé 39 fois à Cannes –, de faire des choix pour le public. J’espère que je pourrai continuer encore quelques années.»
À voir la passion qui l’anime, on peut se rassurer: le cinéma est entre bonnes mains.
Les films de notre vie
Au Théâtre Outremont jusqu’au 2 septembre
Programmation complète à theatreoutremont.ca